Musique

David Jacques : l’homme qui fait parler les guitares

Le prix Artiste de l'année est remis chaque année par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), dans le cadre des Prix d'excellence en arts et culture. En cette 39e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes grâce à une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.

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Publié le : 7 novembre 2025

David Jacques, finaliste 2025 pour le prestigieux prix Artiste de l’année en Chaudière-Appalaches du CALQ, est un réel passionné de guitares. Titulaire d’un doctorat en interprétation de la musique ancienne de l’Université de Montréal, professeur de guitare classique et de luth au Cégep de Sainte-Foy et à l’Université Laval, ce natif de Saint-Georges ne cesse de partager sa passion, ici comme à l’étranger. Ses albums Pièces de guitare de Mr Rémy Médard (2008), Tango Boréal (2012) et Pampa Blues (2014) et 16 Histoires de guitare vol.3 lui ont d’ailleurs valu des Prix Opus. Grand collectionneur d’instruments anciens, il a mis sur pied Histoires de guitares, un spectacle à mi-chemin entre celui musical et celui conté, qui est le point de jonction entre ses multiples connaissances. Il s’est entretenu avec Ose média afin de nous parler de son parcours et de son amour pour tout ce qui touche l’univers des guitares.  

 

Qu’est-ce qui vous anime dans l’idée de jouer d’un instrument qui date de plusieurs siècles, comme vous le faites dans le fabuleux projet Histoires de guitares, un spectacle mettant en scène, par le sons et des anecdotes, plus de 15 guitares, datant de 1665 à 1887 et provenant de votre collection personnelle? 

Ma passion pour les objets anciens ne date pas d’hier. J’ai toujours collectionné les vieilles pièces de monnaie, les roches, etc. : j’avais l’impression de toucher un morceau d’histoire et j’ai toujours trouvé ça très émouvant. Avec Histoires de guitares, ma passion pour les collections rencontre ma passion pour la musique ancienne, ma spécialité. Ce qui m’inspire, c’est de produire des musiques et des sons d’époques que je n’ai pas connues sur des guitares rares et anciennes. J’aime raconter leurs histoires et faire découvrir des pièces que je découvre dans les archives. Le concept de 15 guitares sur scène est aussi très intéressant pour le public. Il y a de l’action!

 

Vous avez donné quelque 4000 concerts, dans 35 pays et sur cinq continents. Selon vous, la musique est-elle un langage universel, compris de la même façon peu importe d’où l’on vient? 

Oui et non. Ça prend parfois des références culturelles pour apprécier plus en profondeur un type de musique. Par contre, les émotions que la musique crée sont universelles et lorsque je présente une guitare qui a appartenue à un grand compositeur, puis que je présente une pièce de ce compositeur sur sa guitare, l’émotion du public est palpable, peu importe le musique que je joue, car il y a un lien affectif qui se crée avant même que je ne commence à jouer. Avant d’adopter cette approche plus « affective » dans mes présentations, j’ai noté dans quelques pays ou régions où je suis allé un fossé au niveau culturel qui rendait les présentations plus difficiles. Et c’est normal.

 

Vous avez travaillé à deux projets avec des chanteurs connus du grand public : Gilles Vigneault et Jean Leloup. Cela nous pousse à nous demander : faut-il connaître la musique classique pour s’intéresser à votre projet Histoires de guitares, ou est-ce justement une façon pour les néophytes de découvrir ces univers fascinants? 

Heureusement non. On peut ne rien connaître à la musique classique et apprécier mes présentations, car d’abord, avec 15 guitares sur scène, la soirée passe vite et ça bouge. Ensuite, il y a plusieurs styles qui sont présentés dépendamment des guitares : folk, flamenco, romantique, baroque, etc. Finalement, c’est plus un « show » qu’un concert dans le sens où mes présentations dynamiques et humoristiques sont combinées à l’impression d’avoir un musée ambulant de la guitare et de découvrir du répertoire, ce qui est à la portée de n’importe quel néophyte. 

J’ai joué dans plusieurs festivals et séries de musique non classique avec ce projet et, à chaque fois, ce fut une expérience incroyable. Et ces artistes pops qui se sont intéressés à mon travail, c’est qu’ils recherchent des sonorités différentes et surtout, tout comme moi, ils ressentent l’émotion d’un instrument qui a 200 ou 300 ans. Ça rend nostalgique et on se fait plein d’histoires dans notre tête. C’est ce qui inspire les poètes!

 

En quoi continuez d’être présent sur les scènes musicales de votre région vous importe? 

J’ai l’impression qu’avec ce projet Histoires de guitares je suis plus près de mon public de région que jamais auparavant. Parce que c’est un projet qui touche et intéresse tout le monde. J’ai donc le plaisir de jouer pratiquement toujours devant des salles pleines. Et pleines de gens que je connais, qui me connaissent, avec qui je discute après le concert et que je revois ensuite à l’épicerie et qui viennent me dire à quel point  ils ont aimé le concert. C’est beaucoup moins impersonnel que de faire des tournées dans des contrées lointaines où il est à peu près certain qu’on ne reverra plus les gens après. Évidemment, j’aime toujours faire de la tournée, bien que j’en fasse beaucoup moins qu’il y a 10 ans, par choix. Il y a un aspect un peu égoïste à faire de la tournée. On le fait pour développer sa carrière, pour découvrir des pays et des cultures, c’est très personnel. Tandis que jouer dans sa région, c’est un sentiment tout à fait différent : on a plus l’impression de (re)donner.

 

Vous êtes une véritable référence dans votre domaine : plusieurs guitaristes, de partout dans le monde, vous contactent pour se perfectionner, collaborer, recevoir un avis éclairé de votre part. Qu’apprenez-vous, vous, aux contacts de ces gens?

Énormément de choses! D’abord, plusieurs me contactent aussi pour me partager du répertoire inédit, qu’ils ont dans leur collection personnelle ou dans leurs bibliothèques. J’ai appris énormément sur les guitares anciennes auprès de luthiers experts européens avec  qui j’ai longuement discuté et à qui j’ai acheté ou fait restaurer des instruments. J’ai appris aussi qu’il y avait avec les guitares anciennes un champ d’étude encore peu exploité. L’impression que tout est à faire, que les connaissances dans ce domaine en sont presque à leurs débuts. C’est assez récent que les guitaristes s’intéressent à leur passé au niveau des instruments. Étudiant, me suis toujours fait dire que ces instruments n’étaient bons que pour accrocher au mur, qu’ils ne sonnaient plus, qu’ils étaient morts… Mais c’est parce que les guitaristes modernes écoutent les instruments anciens avec leur oreille moderne. Lorsqu’on ne force pas l’instrument et qu’on le laisse parler, on apprécie ses qualités tout à fait différentes des instruments du 21e siècle. Et c’est là que la magie commence.