Jiwan Larouche : faire corps
Le prix Relève professionnelle est remis chaque année par Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches (CCNCA) dans le cadre des Prix d'excellence en arts et culture. En cette 39e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes 2025 par une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.
...L’artiste multidisciplinaire Jiwan Larouche met de l’avant la diversité des corps, la fluidité de l’identité, les liens humains et la relation avec la nature à travers la sculpture et l’installation. Issue de la marionnette et du théâtre, sa pratique fait intervenir moulage, broderie et ornements. Jiwan Larouche s’implique dans le milieu culturel de la Capitale-Nationale en offrant du mentorat technique en métal à L’Œil de Poisson ainsi que des ateliers de médiation. Son travail lui a valu le soutien de Première Ovation et le Grand Prix du Centre Materia. Ses œuvres ont notamment été présentées au Musée de la civilisation, au Diamant et en bibliothèque ainsi que dans le cadre de la biennale Manif d’art 11, de la Foire en art actuel de Québec et du Symposium international de Baie-Saint-Paul. On peut d’ailleurs voir tout l’automne son Arche-rencontre à la Placette Desjardins du Musée d’art contemporain.
Comment la marionnette et le théâtre influencent-ils votre travail sculptural?
D’abord, c’est le corps. En marionnette, le corps est pensé en parties détachées pour permettre le mouvement ; cette logique m’a beaucoup influencé·e. Dans ma sculpture, je conçois souvent les formes comme des fragments de corps autonomes. Quand je construis des pièces plus grandes, ma façon de monter les volumes vient aussi du théâtre et de la marionnette : j’assemble différents matériaux – métal, styromousse, rembourrage, liège – avant de recouvrir le tout de papier mâché ou de tissus et d’y ajouter des éléments. J’aime cette approche bricolée et vivante. Il y a aussi une dimension théâtrale dans mes installations : je cherche à raconter quelque chose à travers la mise en espace, le décor, les références culturelles, les relations entre les éléments. Comme une scène qui s’anime, mais sans acteur·ice·s, juste les sculptures qui parlent entre elles.

Nos floraisons passagères, exposition présentée au Centre d’exposition Raymond-Lasnier de Trois-Rivières du 15 mars au 8 juin 2025 | Crédit photo : Étienne Boisvert
Quel est le processus créatif derrière vos œuvres ; comment arrivez-vous à créer des « corps-paysages »?
Pour moi, on n’est jamais une seule chose à la fois. Je me sens hybride – comme personne non-binaire, mais aussi dans ma manière d’être au monde. J’essaie de traduire cette hybridité dans mes œuvres : les matériaux, les formes, les techniques s’y entremêlent. Les frontières entre humain, végétal et animal y sont floues. Des plantes poussent sur les corps, ou s’y fondent. C’est inspiré de ce que je ressens quand je vais en nature : une forme de fusion, de calme, d’appartenance. Souvent, ces moments se vivent avec des gens proches, ou des animaux, dans un sentiment de coexistence. J’attribue des émotions humaines aux plantes, je m’amuse aussi avec leurs noms. Parfois, je pars d’une idée très claire ; d’autres fois, c’est une intuition qui se construit à mesure que je modèle. Ce sont toujours des corps liés à la nature, comme si elle et nous étions faits de la même matière.
Comment le moulage s’est-il intégré à votre pratique et que permet-il de particulier?
J’ai découvert le moulage à la Falla de Montréal en 2021, puis à la Maison des métiers d’art de Québec. J’attendais ce moment : celui de pouvoir reproduire du vivant. J’ai tout de suite adoré l’alginate : c’est un matériau rapide, doux, très proche du corps. En moulant mes proches, j’ai compris que le moulage était une expérience intime – par la proximité, le toucher, les sons, les respirations qu’on perçoit sans même y penser. Comme ma démarche parle d’intimité, ça faisait complètement sens. J’aime aussi le modelage, pour créer de petits corps à partir de rien. Et quand j’ai commencé à faire des moulages collectifs, ça a transformé ma pratique. Créer avec les autres permet à chacun·e de se reconnaître dans l’œuvre. Il y a un sentiment d’appartenance, une mémoire partagée entre le corps, la matière et la nature.
Dans votre art, les mondes animal, végétal et humain se rencontrent. Quel message souhaitez-vous transmettre en les faisant cohabiter?
C’est peut-être un peu utopique, mais j’ai envie de montrer qu’une cohabitation pacifique est possible. On ne la voit presque jamais représentée dans les médias. Je cherche à créer une poésie visuelle, une forme d’émerveillement. Pour moi, l’art peut rappeler à quel point tout est lié : les animaux, les plantes, les humains, les paysages. Si mes œuvres peuvent donner envie de prendre soin – de soi, des autres, de la nature – alors elles ont rempli leur rôle. Je dirais même que si d’aller voir une de mes expositions sert d’échappatoire, tant mieux.

Activité de médiation culturelle en sortie de résidence à Vrille art actuel où le public était invité à créer de la végétation en textiles afin d’agrémenter les montagnes | Crédit photo : Audrey Mainguy
Vous participez à des activités de médiation culturelle et à du mentorat. Comment ces implications dans la communauté vous font-elles cheminer?
J’aime rencontrer les gens, mais j’aime aussi quand on crée côte à côte, sans pression. Quand on bricole ensemble, la conversation devient naturelle : on rit, on partage, on apprend les un·es des autres. Et parfois, on ne parle pas du tout : chacun·e est concentré·e, dans une forme de présence tranquille. J’aime beaucoup cette idée de parallel play – être ensemble sans être en performance. Ce que je souhaite, c’est que les gens repartent avec un sentiment d’autonomie, peut-être même une nouvelle passion. Beaucoup trouvent le temps long ; moi, quand j’ai les mains occupées, je me sens bien. Comme je visualise facilement les étapes d’un projet, je peux aider les autres à réaliser le leur, sans que tout repose sur moi puisqu’on le fait ensemble. Et dans les projets collectifs de moulage, il y a quelque chose de fort : l’œuvre devient un lieu de rencontre, une expérience commune.
