Danse

Mausolée: danser la perte, créer la mémoire

Cinq ans après le début de la crise liée à la COVID-19, un projet à vocation artistique et sociale, touchant et rassembleur, voit le jour au Domaine Cataraqui de Québec. 

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Publié le : 2 septembre 2025


La fin de semaine dernière, notre équipe s’est rendue au Domaine Cataraqui de Québec pour vivre l'expérience du projet Mausolée. Un projet artistique sensible et nécessaire qui voit le jour cinq ans après le début de la crise liée à la COVID-19. Un mémorial dansé imaginé et initié par Caroline Simonis, co-directrice artistique de la compagnie Le fils d’Adrien danse, qui se poursuit jusqu’au dimanche 7 septembre prochain. Les prestations dansées, trois duos chorégraphiques différents, sont offertes gratuitement tous les samedis et les dimanches à 11h et 14h et l’installation est accessible au grand public en tout temps.

Un mausolée évoque généralement un lieu de sépulture monumental dédié à la mémoire des défunts. Dans une approche plus symbolique, le projet Mausolée s’approprie ainsi cette notion pour en faire un espace artistique et collectif, à ciel ouvert, où la mémoire des morts de la pandémie peut enfin respirer. Concrètement, il propose une installation in situ, qui intègre la danse au cœur d’un processus de commémoration partagée. 

Cette initiative, à la fois culturelle et sociale, souhaite recueillir ce qui a été vécu pendant la crise de la COVID-19 — pertes, deuils, ruptures — et le traduire en une expérience sensible et vivante. Malgré l’ampleur des bouleversements, cette période marquée par la mort dans l’isolement, les rituels funéraires impossibles et les deuils suspendus, reste aujourd’hui encore peu investie collectivement. Mausolée tente donc d’offrir un lieu où cette mémoire peut se déployer autrement, par le biais du geste, du mouvement, de l’émotion incarnée. En explorant la dimension rituelle de la danse et sa capacité à dire ce que les mots peinent à exprimer, le projet ouvre des pistes de sens et de réparation pour une blessure encore vive.

Pensé comme un lieu d’immersion, Mausolée se déploie dans un espace naturel (le Domaine Cataraqui), porteur de calme et d’ouverture. Un choix « à la fois artistique, sensoriel et symbolique », nous dit Caroline Simonis. Les jardins et le boisé évoquent les cycles de vie et de régénération. Le calme qui en émane enveloppe les émotions suscitées par l’œuvre, en créant un environnement propice à la réflexion et contribuant à adoucir la violence douloureuse liée à la perte en temps de pandémie. Tandis que la structure circulaire conçue par le scénographe Vano Hotton, évoquant l’intérieur d'une souche d’arbre et les traces de sa vie, favorise le mouvement et la résonance, la circulation des émotions et du souffle, l’échange en présence. 

Les participant.es sont invité.es à habiter un environnement intégrant des éléments visuels, sonores et performatifs qui permettent aux sens de s’éveiller et aux réminiscences d’émerger. Ils sont également invités à poser un geste symbolique inspiré des trois univers chorégraphiques — écrire le nom d’un proche, déposer un grelot, planter une graine — en mémoire d’un être cher. L’œuvre grandit au fil des jours, nourrie par ces interactions, ces partages discrets et connexions chargées de sens.

 

Un langage porté par le mouvement

Le choix de lancer le projet en 2025, cinq ans après le début de la pandémie, n’est pas anodin. Il fallait ce temps de recul, mais aussi reconnaître que le manque d’espaces pour exprimer collectivement cette perte demeure. Pour les co-directeurs artistiques du projet, Caroline Simonis et Harold Rhéaume, la danse contemporaine offre un langage puissant pour tisser des liens entre les vivants et les absents, entre les mémoires individuelles et l’histoire collective. Trois duos chorégraphiques, dont l’un signé par Rhéaume lui-même, sont présentés au cœur de l’installation où peut s’ouvrir un dialogue silencieux entre les corps, entre les consciences.

Au cœur du projet, il y a aussi la parole des citoyens. Entre mai et octobre 2023, une quinzaine de personnes endeuillées ont été rencontrées par l’équipe de médiation du projet (Angélique Bailleul et Caroline Simonis). Ces entretiens ont permis à chacun et chacune de déposer un témoignage. Sous le regard scientifique et éthique de l’anthropologue Luce des Aulniers, ces récits ont été analysés afin d’en dégager des fils communs qui ont ensuite nourri le processus de création. Les participants ont poursuivi leur implication, rencontrant et échangeant avec les artistes à des moments clés de la démarche. De cette écoute et collaboration patiente est née une œuvre profondément ancrée dans le vécu de ceux et celles qui ont traversé la perte pendant cette période difficile.

Ce projet suscite une forme de reconnexion — à soi, aux autres et à nos morts. Il propose «d’habiter ensemble une mémoire encore vive, de se souvenir non pas pour figer le passé, mais pour continuer à tisser du lien à partir de ce qui reste en partage entre les morts et les vivants», nous confie Caroline Simonis. Mausolée invite à respirer autrement, «à transformer cette épreuve en source de nouvelles forces vitales». La danse y devient le véhicule d’une expérience collective qui, selon elle, peut participer à réimaginer nos pratiques culturelles entourant le deuil et la mort.

 

Si vous n’avez pas encore fait l'expérience de Mausolée ou que vous souhaitez l’approfondir,  la revivre ou la partager avec vos proches, il reste encore une fin de semaine pour la découvrir. Deux activités de médiation sont d’ailleurs offertes sur le site, avant cette dernière fin de semaine, soit un cercle de parole, prévu le 4 septembre, où les citoyen.nes sont invité.es à s’exprimer et à réfléchir collectivement à partir des enjeux soulevés et des émotions suscitées par l’œuvre ou par leur propre expérience de perte pendant la pandémie, et une conférence de l’anthropologue Luce Des Aulniers « Que devons-nous aux expériences de la pandémie? Mémoires, liens, recommencements » suivie d’un échange qui aura lieu le 5 septembre.

L’équipe de Ose média y sera très certainement, puisque la beauté du projet repose aussi sur le fait que chaque fin de semaine est unique, portée par des danseurs différents, un public différent et le tout, dans un lieu qui évolue depuis son lancement. Visitez la page dédiée au projet Mausolée pour l’horaire complet des prestations et des activités de médiation et pour avoir accès à la liste complète des crédits du projet.

Une magnifique vidéo promotionnelle a également été mise en ligne après la première fin de semaine, découvrez-la ici.

 

Idée originale : Caroline Simonis

Co-direction artistique : Harold Rhéaume, Caroline Simonis

Médiation : Angélique Bailleul, Caroline Simonis

Anthropologue UQAM - responsable scientifique et éthique : Luce Des Aulniers

Artistes en danse : Geneviève Duong et Josiane Bernier, Benoît Lachambre et Arielle Warkne St-Pierre, Harold Rhéaume et Étienne Lambert.