Danse

Allier l'histoire de l'art et la danse contemporaine : le projet sur les femmes mythiques signé Alice Vermandele

Un projet qui allie danse contemporaine et histoire de l’art et qui revisite la représentation de femmes mythiques dans l’histoire à travers une perspective féministe, ça attise la curiosité, n’est-ce pas? 

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Publié le : 3 septembre 2025

Ce projet porte le nom de Polyptique mythique et est une idée d’Alice Vermandele, artiste soutenue par le Programme de partenariat territorial de la Ville de Québec ainsi que par celui de mentorat du Fils d’Adrien danse et celui de la Maison pour la danse. L’artiste a accepté de s'entretenir avec Ose média afin de dévoiler les dessous de ce spectacle, hautement fascinant et à la forme unique, en cours de création. 

Parlez-nous de Polyptyque mythique: en quoi consiste-t-il exactement?
Avant de devenir artiste en danse, j’ai fait mon baccalauréat en histoire de l’art. C'est dans un désir de lier mes acquis et mes connaissances en histoire de l'art avec ma démarche artistique en danse et mes valeurs féministes qu'est né le projet Polyptyque mythique. Ce projet chorégraphique utilise la recherche en histoire de l’art comme moteur de création en revisitant et questionnant la manière dont les figures féminines issues des mythes occidentaux et judéo-chrétiens ont été représentées à travers le temps. Il s’agit également de questionner comment ces représentations ont souvent servi le discours patriarcal dominant dans nos sociétés. 

Concrètement, le projet s’articule de deux façons. Il y a une collaboration étroite avec des historiennes de l’art qui ont fait des recherches sur les figures mythiques et leurs représentations à travers l’histoire de l’art. À la suite de ces recherches, nous travaillons sur l’écriture d’un texte de conférence. Conjointement à ce travail de conférence, je souhaite revisiter les quatre figures mythiques choisies en utilisant le médium de la danse contemporaine. Par le mouvement, il y a un désir de se positionner par rapport aux discours dominants, de s’en détacher afin de se réapproprier ces archétypes, souvent utilisés dans le discours historique de manière négative, pour en faire des icônes féminines assumées et fortes. 

 Trois interprètes en danse à l'oeuvre

Crédit photo : Leika Morin pour la Maison pour la danse. Les interprètes sont Sarah Pisica (à gauche), Jeanne Forest-Soucy (au centre) et Léa Ratycz-Légaré (à droite)

Par le biais de la danse contemporaine, votre projet a pour objectif de participer à une réappropriation de quatre archétypes féminins : la pêcheresse (Ève/Pandore), la sorcière (la fée Morgane), la femme monstrueuse (Lilith) et la femme fatale (Carmen/Salomé). De quelle façon souhaitez-vous les présenter de manière positive; en quoi cette création est pour vous un geste d’empouvoirement féministe?

C’est le but de cette phase de création : trouver comment réussir à s’en détacher et ne pas faire en sorte que la chorégraphie soit une autre redite des analyses et des discours qui ont longtemps entouré ces archétypes et ces femmes mythiques. Il y a un gros travail que je dois faire en tant que chorégraphe pour éviter ces pièges, mais aussi, un immense travail de la part des interprètes en danse qui doivent trouver comment résonnent en elles l’histoire qui entoure ces femmes, comment elles souhaitent se libérer aussi des archétypes qui nous pèsent à toutes plus ou moins à différents moments de nos vies. Dépendamment des interprètes et de l’archétype, on va utiliser différentes stratégies de subversion, de détournement, de physicalité engagée, etc.

Ce projet résonne aussi beaucoup avec son temps. On retrouve dans plusieurs milieux féministes cette idée de réappropriation de nos icônes féminines. Lilith, notamment, est fortement récupérée et réutilisée dans les milieux féministes depuis plusieurs années. Ce projet me permet de voir comment marcher sur cette fine ligne entre un détournement assumé, sans non plus ignorer l’historicité des femmes mythiques dont il question. En ce sens, la collaboration étroite avec les historiennes de l’art est très riche. 

De quelle(s) façon(s) se rencontreront les deux disciplines au cœur de votre projet, soit l’histoire de l’art et la danse? De quelles façons s’incarnera chacune de leur présence et comment coexisteront-elles?

Je souhaite utiliser le format de conférence-performance pour ce projet. C’est un médium d’art vivant que je trouve très vaste et stimulant. C’est un spectre, on peut donc se retrouver un peu plus d’un côté (conférence) ou de l’autre (spectacle). Durant le processus de création, on va pouvoir explorer ce spectre-là et trouver le bon ton. Ce qui est certain, c’est qu’il va donc y avoir un aspect très formel, conférencier, qui représente le discours sur l’art. Natalie Fontalvo, ma dramaturge, et les historiennes de l’art, Sarah Bourque et Justine Dufresne, travaillent fort à trouver la bonne approche afin que le texte ne soit pas trop dense pour le public, tout en respectant les codes et les standards d’une conférence universitaire plus classique. Avec la danse, on est dans un travail de réappropriation, avec des interprètes qui ont une présence scénique très forte et beaucoup d’aplomb dans leur danse, chacune à leur manière. La scénographie et la conception sonore servent de liant entre les deux univers, qui semblent très éloignés, l’un fort cérébral et l’autre davantage sensoriel. Lors d’une des résidences de création, il va y avoir un bon travail de mise en espace et de mise en scène pour trouver l’équilibre entre la conférence et la danse, sans diviser l’attention, pour que les deux disciplines et le rôle que joue chacune soient bien mis en valeur.

Deux interprètes en danse, la tête tournée vers le haut.

Crédit photo : Marie Tan. Les interprètes sont Sarah Pisica (à gauche) et Geneviève Duong (à droite)


En quoi Natalie Fontalvo, Marie Tan et Maxine Maillet sont des collaboratrices de choix pour votre projet?

Il est important pour moi de travailler avec d’autres femmes et personnes non-binaires qui ont une démarche féministe et qui ont différentes expériences de ce féminisme. Avec Alice Poirier à la scénographie, j’ai une équipe très complète de collaborateu.rices avec qui je me sens en pleine confiance. Je les ai choisi.e.s, car je sais qu’ielles vont me pousser dans les retranchements de mes réflexions artistiques et féministes. C’est important, car même en tant que personne engagée, il y a toujours des biais inconscients qui persistent et des angles-morts. Aussi, c’est un bon défi de mise-en-scène de joindre la danse contemporaine et la conférence et je souhaite m’entourer d’artistes que j’admire et qui vont m’accompagner dans mes choix artistiques pour que la rencontre entre les deux disciplines se fasse de manière dynamique, inspirante et cohérente. Pour moi, ça passe par une dramaturgie et une mise-en-scène bien conçues, ainsi qu’une scénographie et une conception sonore efficaces.


Dans l’idéal, à qui ce projet s’adressera-t-il? Aux amateur.rices de danse ou à ceux et celles d’histoire de l’art

Idéalement, j’aimerais que ce projet s’adresse aux deux et même à un large public. L’objectif est de concilier l’art vivant et le discours sur l’art lui-même qu’amène l’histoire de l’art. Les deux disciplines ont leurs propres outils de compréhension sur le monde dans lequel nous évoluons que je trouve très complémentaires et le défi est de les faire dialoguer pour que ça puisse rejoindre différents publics. Les deux disciplines ne viennent pas rejoindre les mêmes parties de notre cerveau. L’idée est de venir jouer là-dessus pour rejoindre des personnes qui ont besoin soit d’analyser et de comprendre, soit de se laisser porter par les univers artistiques et, qui sait, de les inviter inconsciemment à glisser vers les territoires moins familiers de leurs patrons de pensées. C’est un bon défi!

Portrait d'Alice Vermandele
Photo d'Alice Vermandele (crédit : Marie Tan)


Alice Vermandele a reçu une bourse de 18 500 $ pour réaliser le Polyptique mythique, par l’entremise du Programme de partenariat territorial de la Ville de Québec. N’hésitez pas à découvrir les autres projets soutenus en 2025.