Rosalie Cournoyer: Finaliste au prix Relève professionnelle – Capitale-Nationale
Le prix Relève professionnelle est remis chaque année par Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches (CCNCA) dans le cadre des Prix d'excellence Arts et Culture. En cette 38e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes par une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.
...Diplômée au programme de Jeu du Conservatoire d'art dramatique de Québec en 2018, Rosalie Cournoyer est une comédienne, autrice, metteuse en scène et médiatrice culturelle établie à Québec. Elle est cofondatrice de la compagnie Vénus à vélo, qui porte à la scène trois de ses œuvres, où elle signe le texte et la mise en scène: Fièvre, L'oeil et La Délivrance. Ses créations sont toujours portées par les voix et les corps de protagonistes féminins forts et complexes, et laissent pressentir une grande humanité. Plusieurs de ses textes ont d’ailleurs été récompensés de bourses et de prix.
De quelle façon la méthode de la douceur radicale (radical softness) s’imbrique-t-elle dans votre démarche artistique?
Mon interprétation du concept de « douceur radicale » est de concevoir le partage des émotions, comme un acte politique. Cette perspective m’influence tant dans le choix des sujets, que dans l’angle d’approche des thématiques, ou encore dans le processus de création en lui-même avec les artistes. Ainsi, mes pièces abordent toujours la sphère de l’intime, mettent en scène une plongée dans l’émotivité des personnages, et sont créées dans des espaces de travail ou le partage des vulnérabilités est encouragé.
Lors de la présentation de votre deuxième création, intitulée L'œil et présentée à Premier Acte en 2022-2023, vous avez intégré de façon novatrice la nudité et avez été la première metteuse en scène de la Capitale-Nationale à faire appel à une directrice d’intimité. En quoi cela consiste-t-il et pourquoi avez-vous choisi cette avenue?
Faire appel à une direction d’intimité consiste premièrement à reconnaître que les scènes d’intimité ont besoin d’être approchées avec davantage de préparation, d’attention et de soin que d'autres scènes. Faire appel à une direction d’intimité pourrait ainsi être comparée à faire appel à l’expertise d’un.e chorégraphe pour un segment dansé, ou à une coordination de cascade pour une scène de combat! J’ai choisi cette avenue, parce que je savais que ce que je demandais à mes interprètes pour cette pièce – la nudité complète et frontale – n’était pas anodin, et je souhaitais m’entourer pour favoriser un contexte de création sécuritaire. Ça demande d’accorder plus de temps et de ressources à certaines scènes, mais je suis convaincue que ça fait de meilleures oeuvres! Je crois profondément que le bien-être des artistes au courant du processus de création influence grandement la qualité artistique d’une pièce; plus tu t’épanouis dans un projet, plus tu y mets de passion et d’implication, plus ce que tu présentes sera empreint de sincérité, de minutie et de sens.
Avec La Délivrance, pièce émérite présentée à Premier Acte dans la saison 23-24, vous avez collaboré avec une sage-femme et une équipe multigénérationnelle afin de bien rendre votre sujet qui était la maternité et les legs inter-générationels. En quoi leur apport a changé votre vision première des choses et a contribué à amener votre texte plus loin?
La contribution de ces créatrices est immense! Ça m’a permis d’entrer en contact avec des visions et des rapports à la maternité que je ne côtoie pas dans mes cercles habituels, et à élargir le spectre des vécus présentés par le texte. C’était aussi super enrichissant d’entendre comment ces femmes d’expérience ont vu la société évoluer, ou ne pas évoluer, sur certains enjeux liés à la maternité, comme la conciliation création/famille.
La contribution de Maxe Tremblay Bluteau, sage-femme (et auparavant interprète en théâtre!) a permis d’apporter davantage de réalisme à la mise en scène de l’accouchement et à mettre Gabrielle Ferron (l’interprète, qui devait accoucher sur scène) en confiance face à son jeu. Étant moi-même passionnée par l’univers de la maternité et de la mise au monde, mais n’étant pas mère moi-même, mes échanges avec Maxe m’ont nourrie de clairvoyance. Sa présence au sein de l’équipe a aussi instigué des séances de partage sur des histoires de naissance et ramenait l’équipe entière autour d’un but commun; raconter avec le plus de sensibilité et de justesse cette grande étape de la vie.
Vous travaillez comme médiatrice culturelle, avec des compagnies tels le Trident, le Musée Ambulant, le Théâtre Jeunesse Les Gros Becs et Nuages en Pantalon. Vous partagez votre passion du théâtre avec différents publics: enfant, adolescent, adulte vivant avec des limitations fonctionnelles et des handicaps. Selon vous, qu’est-ce qui rassemble les gens, avec le théâtre, qu’est-ce qui peut créer ce trait d’union entre cet art et la vie de quiconque?
Je pense que le théâtre est un outil formidable pour développer sa capacité d’empathie, autant envers soi qu’envers les autres, comme peu de discipline artistique y arrive. Aussi, comme c’est un art vivant, ça invite au déplacement, à la rencontre avec l’Autre (le personnage, le.la voisin.e de siège) et donc à mettre en pause nos quotidiens effrénés. C’est un « temps autre », ancré dans le présent, mais hors du quotidien, et je pense que ca peut-être profondément thérapeutique de côtoyer cet espace. Quand j’entre dans une classe comme médiatrice, ou quand j’enseigne le jeu, je sens que ma présence dans ces groupes est chargée, ce que je me prépare à faire avec elles et eux, c’est différent, déstabilisant, inusité, souvent drôle, ça mets dans un état de vigilance et d’abandon qui garde l'esprit agile, réactif, en vie! Célébrer l’état du jeu pour les enfants, ou le retrouver pour les adultes à travers le théâtre, ça revigore!
Vous avez contribué à la fondation de La Charpente des Fauves, lieu de création interdisciplinaire situé dans le quartier St-Roch. En quoi vous impliquer dans le milieu, et dans ce projet précisément, a-t-il été nourrissant pour vous?
L’implication dans le milieu, en contribuant en des projets fédérateurs comme un nouveau lieu, ou en copilotant une compagnie de création comme Vénus à vélo, c’est une forme de riposte au sentiment d’impuissance, au manque de reconnaissance du statut des artistes, et au sous-financement chronique de la culture. Ça nourrit, parce que ça donne une forme de pouvoir! Mais, ce pouvoir-là, faut dire qu’il est souvent gagné au fil de longues heures de bénévolat, de coup dur et de déception… Dans le contexte actuel, je le vois comme une forme de militance, essentiel à la survie et l’actualisation de la discipline. Le théâtre pour moi, c’est une discipline collective, de groupe. Pendant la pandémie, c’était très dur de perdre cette énergie de rassemblement; mais contribuer à bâtir un lieu, même si c’est en rédigeant des demandes de subvention toute seule à son bureau, ça permet de retrouver l’espoir et le sentiment de communauté. Diriger une compagnie, c’est aussi la possibilité de rêver à de nouvelles manières de faire, de penser des spectacles ou des rôles qu’on ne voit pas souvent, ça évite de simplement attendre des contrats, et donc, ça rend libre!