Gabriel Samson I: Finaliste au prix Relève professionnelle – Chaudière-Appalaches
Le prix Relève professionnelle est remis chaque année par Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches (CCNCA) dans le cadre des Prix d'excellence en arts et culture. En cette 38e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes par une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.
...Artiste de la région de Chaudière-Appalaches, Gabriel Samson I reçoit son diplôme en Jeu au Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2021. Faisant partie de la programmation officielle de la Charpente des Fauves, Gabriel a écrit, interprété et mis en scène son premier spectacle solo Un chien en laisse qui jappe, lors d’une résidence à la Maison natale de Louis Fréchette. Intégrant la poésie, le slam, le rap et le monologue à sa pratique artistique, Gabriel Samson I continue de travailler sur un second spectacle solo, Le Québec est un pays scandinave, célébré d’une Mention spéciale des Productions Rhizome. Récipiendaire de la bourse pour les artistes de la relève de la Ville de Lévis, il s’ancre dans les thématiques générationnelles et les traduit de façon percutante, utilisant une approche à la fois acerbe et sensible.
Vous êtes de la génération Z et votre art y est fortement ancré: par la langue, les sujets abordés, les angles d’approche choisis, la diffusion sur les réseaux sociaux. Quels sont les défis liés à cet ancrage générationnel et qu’est-ce que ça permet, a contrario, de grand?
Quand je parle de ma génération, je parle de la jeunesse québécoise, bien que monstrueusement américanisée. Ce bruit qui se rend jusque chez nous, ce n’est pas seulement une question de langue, c’est aussi un flot constant d’informations qui est consommé. On grandit avec un filtre numérique qui nous garroche des stimuli de dopamine aux trois secondes. Ça influence le public cible et, par répercussion, influence aussi la manière dont je traite de mes thèmes, les récits que je vais construire. Notamment, en peignant plusieurs tableaux scéniques ou en accumulant des références disparates en poésie. C’est pratiquement comme si on scrollait le long d’un recueil ou qu’on swipait durant un show de théâtre.
Le besoin de validation instantanée et le désir d’être unique sont des phénomènes qui existent autant sur les réseaux sociaux que dans le milieu artistique. On est dans une culture où tout est sur-exposé, sur-exploité, jusqu'à l'essoufflement. L’extension de nous-mêmes, notre profil sur le web, mais aussi notre masque social au jour-le-jour, créent la même dynamique de représentation qu’un rôle à la télé. Alors, étant conscient de cela en tant qu’artiste, je me dois de l’utiliser. Par exemple, dans Un chien en laisse qui jappe, je plonge dans l’obsession de se montrer, jusqu’à l’isolement total. Je suis seul sur scène et je manipule tout, que ce soit les sons, la lumière, les décors – comme une personne qui, elle-même, se prend en vidéo dans sa chambre. Des fois, en faisant foi de transparence, il nous arrive de vouloir tout contrôler sur notre image.
Avoir les deux pieds dans la toile, ça permet aussi quelque chose d’immensément unique au niveau culturel. On a accès à tout. La culture est non seulement à portée de main, elle est consommée à portée de main. Le slam, la poésie, le rap sont toutes des formes qui peuvent s’adapter organiquement aux cadres des différentes plateformes. En ayant conscience de ces outils-là, il faut absolument que je puisse y exister. J’écris pratiquement un nouveau texte par jour, je ne peux donc pas tous les incorporer dans mes représentations. Ce que je peux faire par contre, c’est partager à un public grandissant la progression de mon écriture. Éventuellement, lorsqu'une vidéo que je publie atteint cinquante-mille visionnements, c’est comme si j’avais sold-out le Centre Bell, mais de manière accessible. Qui aurait cru que la poésie pouvait le devenir à un tel point?
Et puis, il y a ce sentiment d’urgence. Ma génération sait que le temps est compté. On grandit avec des crises climatiques, des effondrements sociaux, des injustices économiques. Ça peut créer une énergie particulière des catastrophes mélangées dans un blender. Mon art puise dans l’urgence, dans le besoin de gueuler quelque chose avant que ce soit mon tour. Dans mes textes, il y a toujours ces liens entre la mémoire individuelle et collective, afin d’évoquer l’universalité des expériences humaines. Ça permet une grande force créative qui pousse à aller plus loin, à être plus sincère, plus direct.
C’est un défi permanent de s’ancrer dans la jeunesse québécoise, parce qu’il faut composer avec des attentes contradictoires. Une génération qui cherche son identité, sa langue, sa culture et qui en même temps refuse de plus en plus les étiquettes. C’est la fluidité, le refus de rentrer dans des cases, qui me permet de naviguer entre les genres, les styles, les identités. Je me sers de ce terrain de jeu pour créer des œuvres qui ne sont pas figées, qui bougent, qui évoluent, parce qu’on est loin d’être au bout de nos peines.
Quelle(s) prise(s) de parole vous était-il important de prendre lors de l’écriture de votre spectacle Le Québec est un pays scandinave, présenté dans le cadre des Chantiers / Constructions Artistiques en 2024?
Avec Le Québec est un pays scandinave, il était primordial pour moi de prendre la parole sur deux fronts: l’identité québécoise et mon propre cheminement identitaire. Ce spectacle est né d’une sorte de collision entre ces deux sujets, entre la quête d’appartenance nationale et la découverte intime du soi.
Le Québec, c’est un territoire plein de contradictions. C’est une société qui se construit sur l’héritage du colonialisme, sur une langue et une culture massivement menacées, tout en cherchant à actualiser son identité distincte. Je voulais pousser l’idée que le Québec est un pays scandinave, oui, parce que nos réalités politiques et économiques sont comparables. Mais surtout, il y a une prise de position claire quand on affirme une identité à une entité. Tu es blanc. Tu es un homme. Tu es francophone. Tu es Canadien. Si le Québec est un pays scandinave, qu’est-ce qui peut devenir vrai à partir de là? C’était essentiel pour moi de prendre la parole sur ce que signifie être Québécois.e aujourd’hui, dans une époque où nos repères s’effritent sous le poids de la mondialisation. Le spectacle questionne cette idée d’appartenance, notamment à travers le prisme de l’assimilation culturelle. Elle appartient à qui la feuille d’érable?
L’autre prise de parole essentielle dans Le Québec est un pays scandinave, c’est mon identité de genre. Le spectacle commence comme un monologue sur l’identité québécoise, mais au fil de la pièce, on glisse progressivement vers une réflexion plus intime, celle de mon propre parcours en tant que personne non-binaire. Ce passage vers un discours sur le genre était inhérent à mon questionnement en tant qu’individu, car mon identité ne peut être dissociée de ma pratique artistique. J’évolue dans une conscience et un esprit politique qui ne correspondent pas aux normes traditionnelles de genre. Le narratif du spectacle dispose de tout l’espace pour entrer dans ce propos, le Québec lui-même détenant une culture linguistique et traditionnelle unique, en plus d’être un état, comparativement au reste du continent, beaucoup plus interventionniste que les autres.
Je voulais aborder la fluidité, la multiplicité des identités, de la même manière dont je traite l’idée du fait québécois: comme un concept en découverte constante de soi. La transition de la réflexion nationale vers la réflexion intime sur mon genre est une manière de dire que les deux sont profondément liés. Dans les deux cas c’est une histoire de transition, d’évolution. Le Québec change, et moi aussi. Nos identités, qu’elles soient nationales ou personnelles, ne sont jamais figées. Le Québec est un pays scandinave, c’est ça.
Je devais aussi prendre la parole sur la solitude. Que ce soit en tant qu’artiste ou en tant qu’individu non-genré.e, il y a souvent ce sentiment de se retrouver à la marge, d’être isolé.e. Le titre même du spectacle évoque cette idée: le Québec, comme les pays scandinaves, peut être un endroit froid, tant au sens climatique que émotionnel. On y ressent une certaine distance, un détachement, et je voulais que cette solitude imprègne le spectacle. Il existe aussi dans cette solitude une forme de force, de résilience. Le Québec est un pays scandinave est une ode à cette solitude créative, à cette capacité de se définir à travers l'isolement.
Mon écriture est une manière de naviguer entre ces deux réalités, d’explorer comment elles s’entrecroisent, se nourrissent mutuellement et, parfois, s’entrechoquent. C’est un spectacle qui parle de moi, mais aussi de nous, collectivement, en tant que Québécois.e.s cherchant à se comprendre dans un monde qui ne cesse de nous redéfinir.
Pourquoi vous importe-t-il de vous entourer d’artistes qui évoluent sur le même territoire que vous, celui de Lévis, comme c’est le cas notamment avec votre performance théâtrale intitulée Un chien en laisse qui jappe, projet d’ailleurs confirmé de la programmation officielle de la Charpente des Fauves en 2025?
S’entourer d’artistes qui évoluent sur le même territoire que moi, en Chaudière-Appalaches, c’est essentiel à ma démarche artistique. Lévis, c’est mon point d’ancrage. C’est là que se trouvent mes racines et c’est à partir de ce territoire que toute mon entité artistique s’est déclenchée. Il y a quelque chose de naturel dans le fait de créer avec des gens qui partagent les mêmes paysages, les mêmes référents culturels et les mêmes réalités, au quotidien. On parle le même langage, pas juste au sens des mots, mais au niveau de ce qu’on a vécu.
Avec Un chien en laisse qui jappe, c’était évident pour moi que je devais m’entourer d’artistes de Lévis. Le spectacle parle de mon enfance en banlieue, de cette relation d’amour-haine avec un territoire, délimité par une haie de cèdre, qui est trop petit, étouffant même, mais qui forcément m’a façonné. Travailler avec des artistes qui ont grandi dans le même environnement, qui connaissent les mêmes rues, qui imaginent les mêmes espaces, ça permet une connexion avec l’objet scénique, une compréhension tacite des enjeux que je veux aborder. Ils apportent une authenticité à la conception, parce qu’ils ont aussi vécu cette réalité.
Mais au-delà de l’authenticité, il y a aussi une volonté de créer un écosystème artistique local. Lévis, et plus largement la région de Chaudière-Appalaches, regorge de talents (qui trop souvent restent inexplorés). Il y a une vitalité créative ici qui, malheureusement, peut parfois être éclipsée par la proximité avec Québec ou l’engouement de se déplacer à Montréal. En travaillant avec des artistes de chez nous, je veux contribuer à faire rayonner cette scène, à montrer qu’on peut créer des œuvres fortes, originales, sans nécessairement devoir s’exporter dans les grands centres urbains. C’est aussi une question de solidarité.
Et puis, il y a une fierté inouïe. Le fait que Un chien en laisse qui jappe ait été accueilli dans la programmation officielle de la Charpente des Fauves en 2025, c’est une reconnaissance monumentale pour tout le travail qui a été fait en résidence de création, avec des gens de chez nous. En voilà une preuve que les créations locales peuvent avoir une résonance bien au-delà de leur point de départ, tout en restant profondément ancrées dans leur territoire d’origine.
Vous donnez des ateliers d’écriture à des élèves, mettant de l’avant une approche décomplexée de la poésie. Comment leur parlez-vous de poésie, comment arrivez-vous à les faire connecter avec ce style littéraire et pourquoi est-il important pour vous que les jeunes se l’approprient?
Quand j'entre dans une classe pour donner un atelier d’écriture, la première chose que je fais, c’est de démystifier la poésie. J’essaie de casser cette image rigide, intimidante, que les jeunes peuvent avoir en tête. Souvent, iels voient la poésie comme quelque chose d’ennuyeux, d’élitiste, réservée à des auteurs qu’on lit uniquement à cause du cursus des cours de français. Alors je leur dis tout de suite que la poésie, ça peut être brut, ça peut être sale, ça peut être drôle, et surtout, ça peut parler de ce qu’iels vivent, avec les mots qui leur appartiennent déjà.
Mon approche est décomplexée parce que je veux leur montrer que la poésie n’a pas de règles strictes, qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière d’écrire. Je les encourage à écrire comme iels parlent, à utiliser leur propre langage, leur slang, à eux-autres. C’est juste une autre manière de s’exprimer, mais avec une marge de manœuvre encore plus grande. Pour les faire connecter avec le style, j’essaie toujours de partir de ce qu’iels connaissent. On parle de musique, de rap, de slam, de jeux-vidéos. Après, je peux leur faire un de mes textes que j’ai écrit sur Call of Duty: Warzone. Je leur montre que tous les sujets d'expression peuvent devenir de la poésie. C’est une question de rythme, de jeu avec les mots, de trouver des images pour dire quelque chose d’unique. On peut parler de n’importe quoi, que ce soit de ton chien, de faire une sortie à La Ronde ou du dépanneur à côté de chez toi. Iels comprennent que la véritable poésie, ça ne peut pas être un texte avec des rimes forcées. Ça doit être un espace sans limites, sans censure, ce qui permet éventuellement d’atteindre une bien plus grande viscéralité.
C’est important pour moi que les jeunes s’approprient la poésie parce que c’est une forme de résistance. À la vitesse ou les informations sont gobées de nos jours, la poésie offre un espace pour ralentir, pour réfléchir, pour prendre le temps de se pencher sur ce qu’on ressent. L’écriture, c’est un outil puissant pour comprendre le monde, mais aussi pour se comprendre soi-même. Les attentes face à la réussite sont écrasantes. La poésie leur offre un échappatoire, une manière d’extérioriser le chemin qu’iels ont fait à l’intérieur d’elleux, sans avoir à s’inquiéter d’être jugé.es. Je leur dis souvent: « Tout le monde ici a quelque chose à dire et cette chose-là elle est importante. Peu importe. Ce qui compte, c’est de le dire. »
Dans mes ateliers, je veux que les jeunes repartent avec le sentiment que leurs mots ont de la valeur, que leur voix compte. En les amenant à écrire et à partager leurs textes devant leurs camarades, je leur donne l’opportunité de se voir et de se découvrir à travers la prise de parole. Il y a cette magie de la scène. Je les amène à lire leurs textes au micro, à jouer avec le rythme, à incarner leurs mots davantage. C’est une expérience libératrice pour plusieurs, et c’est souvent là qu’iels se rendent compte que la poésie peut vraiment leur appartenir. Parce qu’en se réappropriant les mots, iels se réapproprient aussi une partie d’elleux-mêmes, et ça, c’est une force qu’iels peuvent garder toute leur vie.
Votre approche artistique est un mélange entre performances théâtrales, poésie, mise en scène, slam, rap. Vous vous produisez sur des scènes d’ici comme à l’international, notamment avec le Cabaret Coquin qui fait salle comble à chaque représentation. Comment expliquez-vous que les arts de la scène et la littérature fassent un mariage si heureux?
L’alliance entre les arts de la scène et la littérature, c’est un mariage prédestiné. Les deux sont des formes d’expression qui se nourrissent l’une et l’autre, ce qui fait que lorsqu’elles se rencontrent, on ne peut assister à autre chose que la magie d’une lune de miel. La littérature, c’est l’art des mots, de la pensée, de l’introspection. Tandis que la scène, c’est l’art du corps, de la présence, de l’instantané. Lorsqu’on mélange ces deux énergies, on crée un espace où les mots deviennent physiques, où les idées sont palpables.
En poésie, en slam, ou forcément dans le rap, il y a déjà une musicalité, un rythme qui appartient au domaine du spectacle. Lorsque je monte sur scène, les mots que j’ai écrits prennent une nouvelle dimension. Ils ne sont plus simplement des idées sur une page, ils deviennent des actions, des moments suspendus, des dialogues avec le public. C’est cette transformation dans la compréhension et l’exécution d’une idée qui, je pense, fascine autant.
Dans un spectacle comme le Cabaret Coquin, il y a cette dynamique unique entre le cadre de notre animation et les textes qui viennent être performés sur scène. Les numéros sont la base, le squelette de l’œuvre, mais les performances des artistes invités lui donnent sa chair. Quand on monte sur scène pour déclamer un texte, on ne fait pas que le réciter. On l’incarne, on l'habite. C’est là que la scène fait toute la différence. Elle permet de donner un nouveau souffle à la littérature, elle la rend vivante. À travers la voix, le corps, les gestes, les œuvres littéraires se déploient de manière immersive et ça permet au public de nous faire confiance pour le voyage qui sera vécu jusqu’à la fin du show.
Avec le Cabaret Coquin, la scène devient un espace où l’intime et le collectif se rencontrent. On parle de sexualité, de désir, des sujets souvent tabous, mais d’une manière qui est à la fois sensuelle et bienveillante. Le fait que ce genre de spectacle fasse salle comble, que ce soit au Québec ou à l’international, s’explique justement par cette relation que tout le monde a avec les sujets qui seront traités sur scène. Il y a quelque chose d’intriguant lorsqu’une personne de la diversité sexuelle partage des morceaux de son expérience, sinon une libération lorsqu’on se permet d’approcher, dans l’humour, des sujets tels que les fuites urinaires passées 40 ans. Il y a une grande universalité dans la thématique du Cabaret Coquin. Les gens viennent pour vivre une expérience, pas seulement pour entendre des mots. Iels veulent être touché.e.s, ému.e.s, provoqué.e.s. Et la littérature, quand elle est mise en scène, elle détient ce pouvoir. Elle sort de l’espace intime de la lecture pour devenir un acte public.
Quand tu balances un texte rythmé, quand tu joues avec l’énergie de la salle, tout change. Les barrières tombent, et les mots, même les plus complexes, trouvent leur chemin vers l’audience. C’est aussi une question de transmission. La scène permet au texte de voyager, de toucher des gens d’ici et d’ailleurs. Peu importe la langue ou la culture, une émotion bien transmise sur scène peut être comprise par le monde entier. C’est d’ailleurs ce qu’on a ressenti en tournant le Cabaret Coquin en Europe: même si le contexte culturel changeait d’une ville à l’autre, l’énergie, la sensualité, l’humour du spectacle traversaient les frontières. Se dire, qu’en ce moment, on est dans un autre pays, sur un autre continent et que nous rions ensemble au même blagues que l’on se permet de faire chez nous, ça confirme la sensibilité humaine. On repart de chacun des spectacles en se disant que l’on a réussi à toucher autant le cœur que l’esprit.