Q et R avec Sébastien Dionne, concepteur de costumes
À l'avant-scène
Théâtre

Q et R avec Sébastien Dionne, concepteur de costumes

Quelle a été la bougie d’allumage de ta carrière comme concepteur? Je suis fasciné par les vêtements depuis toujours. Encore aujourd’hui, je conserve des dizaines de dessins de mode que j’ai faits durant mon enfance, certains dès l’âge de 5 ans. 

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Sébastien Dionne
6 septembre 2017

Quelle a été la bougie d’allumage de ta carrière comme concepteur?

Je suis fasciné par les vêtements depuis toujours. Encore aujourd’hui, je conserve des dizaines de dessins de mode que j’ai faits durant mon enfance, certains dès l’âge de 5 ans. J’ai passé ma jeunesse à draper des poupées Barbie avec les vêtements de ma mère ou des nappes, pour que leurs tenues soient toujours plus spectaculaires et volumineuses.

Adolescent, j’étais convaincu que j’allais devenir designer; j’étais fasciné par les tenues des vedettes sur les tapis rouges et par les robes dans les défilés de haute couture. C’est en 5e secondaire, lorsqu’on m’a demandé de créer les costumes pour la troupe de théâtre de l’école, que j’ai compris qu’un simple vêtement pouvait devenir un costume et nourrir un personnage, que chaque petit détail révèle une information sur celui qui le porte et influence le regard que pose le public sur ce dernier. J’ai rapidement été passionné par le costume, qui pour moi était une porte ouverte sur une multitude d’univers à explorer sans aucune limite.

Le costume ratisse large dans l’histoire et dans l’imaginaire. Sur scène, tout est permis! Je n’ai jamais plus regardé les gens comme avant, observant chacun comme un personnage pour décoder chaque choix vestimentaire et tenter de les comprendre.

Aujourd’hui, j’ai trouvé l’équilibre entre le costume de scène et l’univers de la haute couture, qui continue de me séduire. J’aime concevoir les costumes d’une production comme une collection où les pièces résonnent les unes avec les autres et dont les particularités propres aux divers personnages sont au service d’une même ambiance. Que ce soit le théâtre, le cirque ou le cinéma, chaque art apporte son lot de défis, mais aussi une avenue différente pour approcher la création.

Quelle place occupe le public dans ta démarche de création?

Dans la création de costumes, le public est notre plus grand allié comme notre pire ennemi. Chacun de nos choix a pour but d’aiguiller le jugement que porte le spectateur sur les personnages et les situations. C’est dans l’œil du spectateur que résonne notre réussite.

Pour ce faire, il faut apprendre à jouer avec les conventions, à creuser les référents culturels et sociaux, et à se battre contre les préjugés et les attentes. Il faut savoir surprendre le public tout en le réconfortant. Par exemple, je dis toujours que c’est angoissant de monter une pièce de Michel Tremblay parce que le public y est toujours intransigeant. Le spectateur sait ce qu’il veut voir; tout le monde a connu un personnage de Tremblay dans sa vie. Il faut donc arriver à lui présenter une autre version de ce personnage tout en le raccrochant à ce souvenir ancré.

La création d’un costume puise dans la psychologie pour affecter les sentiments des spectateurs par de simples détails, comme le choix des couleurs et des textures, le degré d’usure du vêtement ou la modification de la physionomie de l’acteur. Tout comme chaque élément d’un costume transmet une information sur le rang social, le contexte culturel dans lequel le personnage évolue ou encore son âge, sa silhouette, elle, révèle beaucoup sur son humanité, sur son histoire. Au bout du compte, il n’y a qu’un public attentif qui pourra nous dire si notre travail est bien fait, car il n’y a personne d’autre à convaincre.

Comment jauges-tu les limites de l’audace dont tu peux faire preuve?

Inévitablement, j’adore concevoir pour des productions dites classiques, comme une pièce de Shakespeare, avec toujours cette curiosité de découvrir comment la mise en scène et la direction de création peuvent réinventer ces histoires qu’on a vues des dizaines de fois.

L’audace pour moi se jauge par le contexte dans lequel sera présenté le spectacle et par le public qui y sera convié. On n’approche pas la conception visuelle de tous les spectacles de la même façon. Lorsque je m’attaque à une œuvre classique, par exemple, j’adore jouer avec les codes et mélanger les référents. Si l’essence même de la pièce est respectée, le spectateur suivra. On peut alors transposer le marquis de Sade (Robert Lepage dans Quills) en Karl Lagerfeld dans un univers où se côtoient la déchéance de la Révolution française et l’impérialisme pervers aux allures haute couture signé Chanel.

D’un point de vue plus pratique, mon audace est toujours relative à celle de mon équipe de création. Il est important pour moi de ne pas plonger dans une extravagance forcée au détriment du spectacle. Ma relation avec l’interprète est aussi très importante. Il est primordial d’être à l’écoute de ses besoins, de son confort, et que nous nous entendions sur la vision du personnage. François Barbeau disait qu’un bon costume en est un qu’on remarque puis qu’on oublie quelques secondes plus tard. Ce principe prend tout son sens lorsqu’on constate qu’un interprète est malheureux dans son costume : il n’y a rien de pire à voir!

Comme spectateur, quelle expérience souhaites-tu vivre lorsque tu assistes à des productions auxquelles tu n’as pas collaboré?

Je ne suis pas un spectateur indulgent. J’aime la rigueur et l’intelligence. Par déformation professionnelle, je suis très critique à l’égard de l’homogénéité visuelle de la proposition scénographique, ce qui englobe tous les champs de création – décor, costumes, maquillages, éclairages, etc. J’aime ressentir que les concepteurs ont échangé, qu’ils se sont respectueusement écoutés et qu’ils ont choisi la même direction esthétique. Ça me dérange d’assister à un spectacle où j’ai l’impression que chacun y est allé de son propre désir créatif. Pour moi, le travail de collaboration est vraiment primordial dans la création et je le vois tout de suite quand il n’y a pas eu symbiose au sein du noyau créatif.

Sinon, de façon plus générale, j’aime beaucoup me sentir actif et impliqué. J’adore les productions qui plongent le spectateur dans une expérience immersive et dont la réussite fait appel à notre capacité à sortir de notre passivité. Pour moi, le caractère absolu et sacré des arts vivants vient du fait que chaque moment est unique et éphémère. Le Carrefour international de théâtre réussit à nous délecter de productions de ce genre chaque année. Je garde un souvenir impérissable de mon passage sur les planches dans Tragédies romaines du metteur en scène néerlandais Ivo Van Hove (2010).

Un spectacle à l’affiche en 2017-2018 que tu attends avec impatience?

Toujours dans la même veine, j’attends avec impatience de plonger dans la proposition de la compagnie Les Écornifleuses qui présentera Titus en novembre au Théâtre Périscope. Je suis certain qu’Édith Patenaude et toute son équipe sauront nous stupéfier encore une fois! J’avoue être partagé entre la jalousie de ne pas faire partie de cette équipe et la fébrilité de ne pas savoir à quoi m’attendre lorsque je prendrai place dans mon siège.