La petite histoire du Cinéma Beaumont
En février 2023, une nouvelle salle de cinéma voyait le jour en plein cœur de Québec: le Cinéma Beaumont. Situé à la frontière des quartiers Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste, dans la coopérative Méduse, il est chapeauté par l’organisme de diffusion Antitube.
...Afin de découvrir de l’intérieur ce lieu qui se positionne déjà comme la nouvelle halte incontournable des cinéphiles après un peu plus d’un an d’existence, notre équipe s’est entretenue avec Jason Béliveau, directeur de la programmation.
« Antitube est né en 1995 et ça a toujours été le projet initial de l’organisme d’avoir une salle au centre-ville de Québec », explique d’emblée Jason Béliveau. Si le projet aura germé pendant plus de vingt-cinq ans avant de voir le jour, c’est que l’organisme, dont la volonté est de proposer aux gens de Québec une programmation annuelle d’événements cinématographiques, avait entre-temps noué des partenariats porteurs avec d’autres salles de diffusion, principalement celle du Musée de la civilisation avec qui la collaboration s’est étirée sur deux décennies. Mais voilà qu’à l’aube des années 2020 les flûtes s’alignaient: la technologie permettait plus facilement de mener à bien leurs ambitions, le quartier comme la population étaient mûrs pour une telle offre artistique et Ariane Caron-Lachance se joignait à l’équipe en tant que directrice générale avec un bagage professionnel non négligeable. Antitube était donc maintenant prêt à lancer son propre cinéma dont la programmation mettrait de l’avant des films québécois et internationaux, des films récents comme de répertoires, des documentaires ou des fictions.
Afin de donner le ton à leur programmation, le tout premier film présenté dans le nouveau Cinéma Beaumont a été Polyester, un long-métrage de John Waters datant de 1981, « un cinéma un peu trash, un peu de mauvais goût, et c’est l’un des rares films doublé en joual (comme Slapshot) et offert en odorama », le décrit avec plaisir Jason Béliveau. Ainsi, le Cinéma Beaumont a mis la main sur des cartes-à-gratter odorantes qui permettaient, à certains moments clés indiqués dans le film, de libérer les odeurs de pieds, de roses ou de cigarettes afin de faire vivre une expérience cinématographique bonifiée.
On souligne également le succès de son festival de films d’horreur qui réunit « des gens qui comprennent le plaisir d’aller voir un cinéma d’horreur en salle, avec cet éclairage spécial, cette musique d’ambiance… ».
Concert-performance du film David contre Goliath de David B. Ricard
Une salle accessible
Il fut une époque, dans la première moitié du XXe siècle, où un certain Edmond Beaumont, homme d'affaires propriétaire de plusieurs salles de cinéma dans la grande région de Québec, prenait entre ses mains de grosses valises remplies de précieuses bobines de films et faisait le tour de ses salles, de Lévy à St-Sauveur, en passant par Ste-Foy. On disait alors que les films qu’il transportait ainsi faisait « le circuit Beaumont ». Lorsqu’est venu le temps de nommer sa salle de cinéma, Antitube a choisi d’honorer cet homme. « En plus de souligner la riche histoire de la projection en salle à Québec, ce nom symbolise à nos yeux l’importance de la circulation des œuvres et du partage des connaissances », lit-on sur son site internet.
Un lieu de partage, donc, qui s’incarne sous la forme d’une salle de cinéma un peu atypique. « On veut que les gens sentent qu’il y a de l’humain derrière le cinéma, derrière la projection », explique Jason Béliveau. Le tout s’incarne notamment dans le souci d’offrir de courtes et très riches présentations avant les projections, pour mettre en contexte les images qui seront présentées. Quelle est la démarche du réalisateur? Dans quel courant s’inscrit l'œuvre, ou encore en rupture avec quel style se positionne-t-elle? D'ailleurs, les employées et employés du Cinéma Beaumont sont sélectionnés en fonction de leur capacité à présenter les films au public: « Ce sont tous des cinéphiles qui peuvent s'approprier la salle », nous dit le directeur de programmation. Présenter ainsi les films permet une prédisposition à ce qui suivra pour le public, mais aussi de le placer dans une ambiance plus respectueuse, plus calme.
Afin de maintenir l’idée de partage, de médiation et de convivialité, on invite plusieurs cinéastes du Québec lors de la projection de leur film. Parfois, des comédiennes et comédiens sont également de la partie. Ainsi, après le film, une animation sous forme de questions-réponses d’environ 30 à 45 minutes est offerte au public. C’est notamment le cas lors de la présentation de La moitié gauche du frigo, important film du répertoire québécois, où Philippe Falardeau sera présent le 7 juin, ou encore lors de la projection du documentaire Éviction, qui se fera en présence de la cinéaste Mathilde Capone, le 30 mai. Cette proposition de dialogue entre le public et ceux qui œuvrent à l’art cinématographique est assurément l’un des éléments centraux qui font que l’offre du Cinéma Beaumont se démarque des scènes plus « commerciales ».
Toujours en termes d’accessibilité, il est impossible de passer sous silence que le prix d’un billet se situe sous la moyenne, avec son tarif fixe de 12$.
Projection du film Ma cité évincée en présence des réalisatrices Priscillia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser.
La revanche des petites salles
« On a vu ce qui s’est passé à Montréal: les grandes salles ont fermé, les petites ont pris le relais dans les quartiers », souligne Jason Béliveau pour qui, plus que jamais, une telle salle au cœur de Québec s’avère pertinente. C’est d’ailleurs d’une de ces « petites » salles que vient Ariane Caron-Lachance, ayant travaillé au Cinéma Moderne, au Cinéma public, au Cinéma Beaubien. Le défi de la salle qu’Antitube mettait sur pied l’a tellement interpellée qu’elle a fait ses valises à Montréal pour venir les poser dans la Capitale-Nationale et embrasser le rôle de directrice générale.
Petite, certes, mais pas sans importance. Si présentement l’offre du Cinéma Beaumont propose une cinquantaine de places assises et s’en tient à environ quatre films différents présentés chaque semaine, son objectif est de construire une scène avec une offre cinématographique disponible à tous les jours, plusieurs fois par jour, en ayant pignon sur rue dans un quartier bien vivant. D’ailleurs, son équipement technique de grande qualité – dont un projecteur laser et le système de son surround 7.1 – n’a rien à envier aux salles de plus grande envergure.
La possibilité d’un déménagement, dans le même quartier mais avec potentiellement pignon sur rue et une marquise à l’image de ce cinéma, est d’ailleurs dans l’air lorsque nous sommes allés rencontrer Jason Béliveau: en attente d’une confirmation en ce sens, les travaux d’architecture pour la salle – déjà très fonctionnelle et confortable, cela dit – sont sur la glace. Mais le directeur de la programmation nous explique leurs désirs, qui prendront bientôt vie grâce à la firme d’architectes Agence Spatiale: une salle qui rappellera les cinémas d’antan, au look vintage, « avec l’idée d’un décor extrêmement travaillé, style salle de spectacles. Quelque chose qui s’éloigne du rapport très “centre commercial”, quelque chose de classique et de glamour, sans toutefois être trop exubérant ».
Déjà, on a des étoiles dans les yeux! Et vous? Découvrez la programmation régulière du Cinéma Beaumont!