Karl-Emmanuel Picard : Faire résonner la scène de l’ANTI jusque dans nos salons
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Karl-Emmanuel Picard : Faire résonner la scène de l’ANTI jusque dans nos salons

Concevoir un concert virtuel de qualité pour le plaisir du spectateur.

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Publié le : 2 octobre 2020

BALADO – Écoutez l’entrevue complète!

Notre équipe a beau jeu pour vous faire découvrir les arts de la scène. Avec fierté, on vous parle des nombreuses salles de spectacles de nos régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches. Ces salles qui savent si bien se distinguer par la richesse de leur programmation et par la diversité de leurs lieux. Les scènes y sont animées, vivantes, pour le plus grand bonheur des spectateurs et des spectatrices que nous sommes.

Repenser la programmation d’un spectacle

Mais, car il y a toujours un mais, l’année 2020 n’est pas de tout repos. Les règles sanitaires en vigueur forcent les salles de spectacles à adapter, voire à repenser leur programmation. Et l’ANTI Bar & Spectacles ne fait pas exception. Malgré l’impossibilité d’accueillir du public sur place, Karl-Emmanuel Picard, copropriétaire de l’ANTI et producteur, a présenté jusqu’à maintenant cette année plus de 30 spectacles (et ce n’est pas fini!)! Sa stratégie? Proposer des concerts virtuels en direct et payants!

Karl-Emmanuel Picard est l’un des premiers à avoir plonger activement dans la diffusion virtuelle de spectacles payants. Choix audacieux s’il en est un, nous sommes allés à sa rencontre (à distance bien sûr) pour discuter de ce virage numérique avec lui.

Adopter la diffusion virtuelle payante

Pour les lieux de diffusion, la présentation de spectacles c’est leur raison d’être. Alors que les scènes étaient désertes et que les diffuseurs étaient à la recherche active de solutions, vous avez été l’un des premiers à proposer une programmation de concerts virtuels payants. Comment avez-vous entrepris ce virage, disons-le très rapidement?

K-EP – Les spectacles ont été annulés du jour au lendemain. Tout de suite, j’ai amorcé des discussions avec un groupe de musique pour faire un spectacle à l’ANTI la fin de semaine suivante, sans public sur place et avec des caméras. Je n’avais pas encore de plateforme de diffusion virtuelle, ni la technique pour gérer la vente des billets. Je me disais que j’enverrais un lien manuellement à chaque spectateur qui se procurerait un billet.

Cela n’a pas eu lieu. Selon les règles sanitaires de mars dernier, les lieux n’étaient pas accessibles du tout. En fait, c’était difficile surtout parce que les règles changeaient beaucoup. Donc, j’ai mis ça de côté temporairement. À la même période, le fournisseur de mon système de billetterie, l’entreprise lepointdevente.com, a développé la technologie nécessaire pour faciliter la diffusion de concert virtuel payant.

Et le 9 mai 2020, le premier concert virtuel en direct payant avait lieu!

C’est très rapide quand même. Rappelons-nous que l’interdiction de tenir des rassemblements intérieurs dans les salles de spectacles est entrée en vigueur le 16 mars 2020! Ce premier spectacle ressemblait à quoi? 

K-EP – C’est un délai très court pour changer son mode de diffusion! Au départ, quand j’ai contacté l’artiste, mon objectif était de venir en aide à l’ANTI qui est mon lieu de diffusion. Je croyais qu’il allait se produire de chez lui au Saguenay dans sa chambre, avec un iPhone ou encore j’allais lui envoyer une caméra par la poste en lui donnant le mode d’emploi.

Le hic, c’est qu’on a vendu 900 billets! Une fois la surprise passée, on a réalisé qu’il fallait que les spectateurs vivent une bonne première expérience pour les amener à aller vers d’autres concerts virtuels.

L’artiste est au Saguenay, je ne peux pas y aller et il ne peut venir à Québec. On a trouvé un endroit au Saguenay semblable à Solotech (entreprise spécialisée dans la captation et la diffusion). Ensuite, j’ai collaboré avec une personne là-bas qui avait des connaissances pour faire la captation virtuelle en direct. Ça s’est joué en 72h!

Tout s’est bien passé?

K-EP – Bien sûr, quelques petits problèmes techniques semblables à ce qui arrive quand tout le monde se connecte en même temps pour acheter des billets. Mais au-delà de ça, le concert s’est bien déroulé et la qualité était au rendez-vous! Pour moi, la condition de succès est la qualité de l’image et la synchronisation.

Concevoir une expérience virtuelle pour le spectateur

Quelques mois plus tard et plusieurs concerts virtuels à ton actif, quel regard posez-vous sur cette décision?

K-EP – Honnêtement, je pensais que quand je me suis lancé là-dedans que le confinement serait beaucoup plus long (note : les règles des rassemblements ont été ajustées au début de l’été 2020). Quand les spectacles en présentiel ont pu reprendre, le nombre de billets de spectacles virtuels a diminué légèrement.

Cependant, j’ai décidé de continuer sur cette voie, car je trouve ça important de garder l’expertise des techniciens, de faire travailler les artistes et vivre la culture durant cette période difficile.

Programmer un concert virtuel et en faire un succès, qu’est-ce que ça exige?

K-EP – Il faut se démarquer et attirer l’attention. J’ai fait des collaborations avec des microbrasseries. J’ai proposé un coût plus élevé pour un billet en y ajoutant le choix d’une bière de microbrasserie lors du retour en salle du spectateur. Quand j’ai un artiste qui vient jouer, pour l’accueillir, je m’en vais chercher des légumes à la ferme, je me tourne vers une boucherie qui vend des viandes de producteurs locaux. Et j’en parle dans la promotion. Je mets en valeur.

Je prends des photos avec les artistes et je fais des rencontres par vidéo avec eux pour plus de visibilité. Pour certains spectacles, on a tourné des capsules d’introduction avec les artistes Je pense à Pépé et sa guitare qui s’en chercher Mononc’ Serge dans la chambre froide à l’ANTI pour l’amener sur la scène. Puis, une fois sur scène, on fait en sorte qu’on tombe en «live».

Je pense aussi aux membres du groupe Anonymous qui, une fois le spectacle terminé, sont revenus sur scène pour une période d’échange en mode virtuel avec les spectateurs. Les gens m’écrivaient leurs questions et je les posais ensuite au membre du groupe. Je trouve que j’amène une chimie intéressante, c’est charmant.

«Il faut réfléchir au concept du spectacle, aller plus loin que la notion de diffusion en direct. Si l’artiste s’adresse seulement au public devant lui sur place, ce n’est pas du tout intéressant pour celui qui regarde le spectacle à distance.»
– Karl-Emmanuel Picard

Ce que vous dites c’est qu’il faut fait vivre le spectacle autrement, le concevoir différemment pour recréer une émotion à la maison. Quand on va dans une salle, il se passe quelque chose, on entre en relation avec le groupe, l’artiste. On a le sentiment de vivre un moment unique. Je comprends donc que c’est important de proposer une «expérience virtuelle», de toucher le public pour créer cette connexion. Il ne faut pas avoir l’impression de regarder une vidéo de spectacle.

K-EP – Actuellement, j’expérimente, c’est un laboratoire pour moi. Éventuellement, je veux proposer des spectacles hybrides dans différents lieux avec du public dans la salle et tout autant à la maison dans le confort du salon. C’est une conception de spectacle avec une mise en scène, des éclairages, etc.

Il faut prévoir les interventions du ou des artistes avec les spectateurs qui sont dans la salle, avec le public à la maison. Il faut réfléchir au concept du spectacle, aller plus loin que la notion de diffusion en direct. Si l’artiste s’adresse seulement au public devant lui sur place, ce n’est pas du tout intéressant pour celui qui regarde le spectacle à distance. Alors, il faut guider l’artiste et travailler en collaboration avec lui pour arriver à ce résultat. C’est nouveau pour lui de préparer son spectacle pour un public qu’il ne voit pas. Ce n’est pas naturel.

Voir le beau côté des choses

La pandémie porte un dur coup pour le milieu des arts et de la culture. Les lieux de diffusion sont peu ou pas accessibles, les artistes peuvent à peine exercer leur art, cependant on oublie souvent de souligner les impacts importants sur l’écosystème culturel : tous les employés qui oeuvrent dans le milieu des arts vivants, au son, à l’éclairage, à la billetterie, à la promotion, la programmation, à la logistique et plus encore. Est-ce que les concerts virtuels peuvent apaiser ces impacts?

K-EP – Oui, selon moi la diffusion en ligne est une avenue positive. Pour ma part, la rétention de mon personnel à l’ANTI Bar & Spectacles me préoccupe vraiment. En organisant des concerts virtuels, cela permet aux techniciens de travailler, mais surtout de développer leurs compétences.

Si on essaie de créer une expérience et d’entrer en communication avec le public à la maison, ça génère des messages, des courriels. Actuellement, c’est l’équipe habituellement dédiée au service du bar lors d’un spectacle dans la salle qui gère les communications lors d’un spectacle virtuel en direct.

Aussi, j’ai choisi de m’engager dans mon milieu et de collaborer avec d’autres diffuseurs pour partager mon expérience. Je crois qu’il faut s’entraider par le partage des apprentissages pour garder notre milieu du spectacle le plus vivant possible.

Quel échange intéressant! Nous tenons à remercier Karl-Emmanuel Picard d’avoir partagé avec générosité son expérience sur l’organisation de spectacles virtuels payants.

Vous avez aimé? Vous en voulez encore plus? Alors, vite tournez-vous vers le balado de l’entrevue! Vous serez comblés.

Bon spectacle virtuel!