Il était une fois la culture
Ils débarquent dans le café, l’un après l’autre. On dirait une réunion d’anciens collègues de classe, vu la chaleur qui émane de leurs retrouvailles. Mais il y a autre chose de plus large, de plus profond dans cette rencontre. Comme le sentiment, en les regardant, d’assister à la convergence momentanée de gardiens d’une époque révolue. […]
...Ils débarquent dans le café, l’un après l’autre. On dirait une réunion d’anciens collègues de classe, vu la chaleur qui émane de leurs retrouvailles. Mais il y a autre chose de plus large, de plus profond dans cette rencontre. Comme le sentiment, en les regardant, d’assister à la convergence momentanée de gardiens d’une époque révolue.
Ils se nomment Pierre O. Nadeau, Denise Martel et Serge Drouin. Signatures à jamais associées aux pages artistiques du Journal de Québec, dans lequel ils ont sévi de longues années.
Le premier dégage une intensité contenue, l’air impassible. La seconde s’avère vive et enjouée. Le troisième, expansif, s’amuse sans retenue. Ensemble, ils abritent un vénérable codex d’anecdotes et d’expériences. Des courses pour aller écrire – à la machine! – une critique de spectacle avant l’heure de tombée. Des tournées de presse marquantes. Des rencontres exaltantes, tant sur le plan personnel que professionnel.
Ils furent, pendant quelques décennies, les assidus témoins de la culture à Québec.
Entrée au journal en 1976, Denise Martel sera secrétaire de rédaction, puis journaliste, puis chef de pupitre avant d’arriver à la culture. «On n’engageait pas de femmes comme journalistes quand je suis arrivée», relate-t-elle. Si bien que Serge Drouin, lui, a débuté à la même époque en écrivant dans les pages féminines : «Je couvrais les parades de mode», s’amuse-t-il. Pierre O. Nadeau, arrivé en 1974, cumule 40 années de couverture de spectacles.
Accros au métier…
Malgré qu’ils aient depuis un bon moment signé leurs derniers articles et coulent de paisibles jours à la retraite, les trois scribes portent encore en eux les réflexes du boulot.
«Le journalisme, et peut-être plus encore le journalisme culturel, c’est pas un travail, c’est une drogue, suggère Nadeau. L’envie d’écrire, c’est fort, c’est un maudit gros joint, ça revient souvent après avoir vu un spectacle, entendu un disque.»
«Je sors encore beaucoup, abonde Denise Martel, et il m’arrive encore très souvent de me demander, au milieu du spectacle, ce que je vais écrire, avec quel lead je vais commencer mon article. Mais en même temps, quand je réalise que je n’ai pas besoin de le faire, je me sens soulagée d’enfin voir un spectacle pour le plaisir.»
Pour Serge Drouin, qui a quant à lui fait la coupure pendant quelques années avant d’y revenir doucement, l’intérêt pour le métier demeure bien vivant aussi. Il prend toujours plaisir à disséquer la télé, parfois à la radio quand on l’y invite. Et il a aussi eu sa page Web, s’amuse sur les réseaux sociaux.
Tous partis du journal, mais à jamais journalistes, quoi.
… mais avant tout à la culture
Au-delà du commentaire, de l’écriture, de la critique, toutefois, il y a chez ces trois compères un véritable amour de l’art – et en particulier des artistes – qui s’exprime dans chacun de leurs souvenirs du métier qui émergent en série. Comme autant de bulles qui éclatent à la surface de leurs riches mémoires.
«J’avais peur d’interviewer Robert Charlebois, raconte Drouin. Il traînait une réputation sulfureuse, d’un gars difficile en entrevue. Mais en même temps je l’admirais, c’était une idole, ce qu’il faisait était grandiose. Finalement, ça a été une rencontre géniale.»
«Gilles Vignault, Richard Séguin, Richard Desjardins : il y a tellement de gens extraordinaires que j’ai rencontrés, énumère à son tour Denise Martel. Mais c’est peut-être avec Bernard Émond que j’ai eu les entrevues les plus mémorables; il arrivait qu’on se chicane, parce qu’on n’était pas d’accord. Mais j’adore cet homme-là!»
Quant à Pierre O. Nadeau, il est marqué au fer par son tête-à-tête avec le plus grand barde canadien : «C’était dans un hôtel à Toronto. Je me souviens qu’il m’avait ouvert la porte, on avait bu une bouteille de vin, c’était vraiment un superbe moment.»
Et soudainement, ça déboule. Céline, Bryan Adams, Philippe Noiret, Paul McCartney… L’effervescence culturelle de la capitale pétille à travers leurs mots. Les écouter, c’est un peu faire son devoir de mémoire.