DES PREMIERS PAS… DE PREMIER ACTE : Entretien avec ses trois fondateurs à propos de leur bébé
Retour décomplexé dans le temps avec Martin Genest, Philippe Soldevila et Agnès Zacharie.
...Compagnies émergentes, Le Théâtre Sortie de Secours, Le Théâtre du Mana et le Théâtre Les Enfants Terribles partageaient tous une même volonté, celle de permettre aux compagnies de la relève de se regrouper, sous une même bannière, lors d’une même saison, dans un même lieu. C’était en 1994. Vingt-cinq plus tard, Premier Acte est un incubateur et un important tremplin, voyant défiler en ses murs, les forces vives de l’émergence théâtrale de la ville. Retour décomplexé dans le temps avec Martin Genest, Philippe Soldevila et Agnès Zacharie.
Vous n’êtes pas les premiers à prendre part à ce grand dossier thématique soulignant les vingt-cinq ans de Premier Acte, mais vous, vous êtes les premiers, derrière ce projet. Vous en êtes les fondateurs. J’avais donc envie de vous demander, en un mot, ce que vous inspirent les débuts, la création de Premier Acte.
Martin Genest (MG) – Audace, peut-être ?
Agnès Zacharie (AZ) – Le mot volonté ?
Philippe Soldevila (PS) – Moi, ralliement. C’était d’ailleurs, au départ, le nom de l’organisation : Regroupement Premier Acte.
AZ – J’avais espoir, mais non, c’est réellement volonté. Au départ, il y a 25 ans, c’était extrêmement difficile de pouvoir créer ou diffuser, par manque d’argent. En sortant de l’école, nous nous dirigions tous vers le Programme Jeunes volontaires qui ne donnait pas beaucoup de sous, mais nous permettait d’amorcer la création.
Je me souviens que j’étais désespérée devant le peu d’avenues qui s’offraient, tout en sachant qu’une réponse à une demande de subvention faite au Conseil des arts du Canada ou au Conseil des arts et des lettres du Québec ne nous serait pas accordée. Donc, comme nous nous tournions tous vers le même programme, j’ai eu très tôt ce sentiment qu’il fallait se regrouper pour créer, mettre en commun nos avoirs pour diminuer certaines charges liées à la diffusion. Voilà pourquoi il fallait beaucoup de vouloir.
MG – Moi je dis audace, parce que je ne sais pas si le ferais aujourd’hui. Ce projet nous a demandé beaucoup d’énergie, à trois. Nous avions aussi, tous les trois, ce côté entrepreneur, qui nous a permis de fonder des compagnies, d’être solidaires, de vouloir défendre quelque chose. Philippe et moi avons dû développer ces aspects-là, car nous ne sommes pas issus d’écoles : nous devions donc nous donner les moyens de nos ambitions, de la carrière que nous souhaitions mener.
De l’audace, donc, parce qu’il fallait être quand même un peu baveux à vouloir parler à tout le monde, les réunir pour créer un regroupement dans un endroit, certes, sympathique, mais peu adapté à la création. Sachant toute l’énergie et les efforts déployés ayant mené à la création, je me demande si aujourd’hui, j’aurais été capable de mettre sur pied un organisme qui nous demandait, alors, de porter tous les chapeaux.
Dans les faits, c’était une manière pour nous de nous réaliser. En nous dotant de ces outils collectifs-là, nous allions être capables de réaliser nos projets et, par la bande, permettre à d’autres créateurs de faire de même.
PS – À cette époque-là, il y avait une magnifique effervescence, un désir de créer à Québec, mais elle était complètement disséminée. Nous nous sommes rendu compte, un jour, que nous allions tous les trois jouer au même endroit, avec nos compagnies respectives. C’est devenu alors évident de se rallier, pour créer une saison, créer un lieu auquel on pourrait associer quelque chose jusqu’alors abstrait, soit la relève. Puis, tout s’est placé, et condensé dans ce lieu. C’était le but.
J’aime beaucoup la manière dont Martin répond à tout cela. Parce que tous les trois, nous avons commencé à écrire, à jouer, à mettre en scène, à se créer une compagnie et comme cela n’était pas assez, on s’est parti une salle. C’est ce qui me rend fier : parce que la salle existe, mais nous avons eu la clairvoyance de ne pas garder notre bébé pour nous, afin de lui laisser sa vocation première. C’est donc toujours les jeunes de la relève qui peuvent s’en servir.
Mais… j’ai tendance à oublier ce qui a été difficile. Pour moi, Premier Acte demeure la chose qui me rend le plus fier et qui a nécessité le moins d’effort. Donc, c’est sans doute parce que Martin a travaillé beaucoup plus fort que moi, au fond !
AZ – Non, c’est vrai que nous avons tous travaillé fort. Mais je voudrais ajouter qu’à l’époque, nous n’avions pas le choix de fonder des compagnies et de nous donner, chacun, un objectif de création. Déjà, ça, c’était très lourd. Et les aides financières pour la relève n’étaient pas ce qu’elles étaient, tout comme la considération qui vient avec ce statut. C’est pour cette raison que nous avons dû mettre tous nos œufs dans le même panier.
Sans trop savoir comment y arriver, nous avons lancé un appel à tout le milieu, à de jeunes artistes, que nous avons rencontrés au Pub Saint-Alexandre et nous leur avons demandé de but en blanc : que diriez-vous si, au lieu de créer chacun de notre côté, on s’unissait pour de doter d’un fax, d’une salle, d’un technicien, etc ? Pour y arriver financièrement, cette idée était la seule qui nous permettait de survivre.
Quand Philippe dit, qu’à terme, nous l’avons laissé aller, c’est qu’à un moment, dans nos carrières respectives, nous avons eu la chance de partir en tournée. Nous travaillions de concert pour lancer la saison, puis, par la suite, nous nous relayions selon nos contrats et nos engagements, en prenant tour à tour, la relève sur certaines tâches.
Puis, quand nous avons constaté que nos carrières ne nous permettaient plus de soutenir Premier Acte, nous avons dû faire appel à d’autres personnes, comme Anne-Marie Olivier, un temps.
Se regrouper pour créer
Cela vous aura-t-il permis de créer, en quelque sorte, une force de frappe, mais qui aura aussi servi de moteur à vos carrières individuelles? Cette force, propre à la relève d’aujourd’hui, n’est-elle possible justement parce que vous avez créé Premier Acte, en donnant des moyens concrets aux créateurs d’ici?
AZ – Oui, tout à fait !
MG – Sans qu’on ne force la création de Premier Acte, il y a eu un momentum. Nous sommes devenus une tribune pour tous les gens de la relève. Puis, c’est devenu une sorte de modèle, que même Montréal est venu étudier et copier, afin que de jeunes artistes et des compagnies émergentes puissent créer, à peu de frais, et porter leur parole. Le modèle sur lequel repose Premier Acte est efficace.
Aujourd’hui encore, ce que vous avez créé, cette notion collective, que vous avez insufflée dans l’ADN de Premier Acte, semble avoir influencé le milieu théâtral de la Ville de Québec, pour en faire ce qu’il est aujourd’hui. Est-ce cela?
MG – Premier Acte est née du désir de créer un organisme soutenant la relève et la création, à peu de frais. Quand est venu le temps de laisser notre « bébé », nous avons discuté ensemble pour trouver une personne qui saurait préserver cette philosophie, sa raison d’être, afin d’éviter que Premier Acte se dénature, deviennent un théâtre trop conventionné.
PS – Notre volonté première devait demeurer, c’est-à-dire que cela est facile et abordable pour les gens de la relève de créer. Premier Acte a, à l’inverse de plusieurs organisations, non pas la mission de survivre, comme organisation, mais de faire survivre les créateurs. C’est d’ailleurs en permettant à de nombreux créateurs, outre les fondateurs, de siéger sur le conseil d’administration qu’il est possible de poursuivre cette mission première et cela, Marc Gourdeau l’a très bien compris. Grâce à lui, Premier Acte a atteint l’âge de la maturité.
AZ – Marc Gourdeau travaille de très belle façon, tout en ayant rassemblé, autour de lui, une équipe des gens qui aiment l’art, à qui le théâtre tient à cœur. Encore aujourd’hui, Philippe et moi demeurons sur le conseil d’administration, parce que nous avons le temps et l’intérêt de faciliter ou d’amorcer le travail de création des artisans du théâtre, afin de leur donner un tremplin.
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Quand les gens rêvent de faire du théâtre, il y a désormais un chemin qui est tracé, qui rend le tout possible. Ils peuvent sortir de l’école, de l’université et se dire que, si leur projet est accepté à Premier Acte, ils ont la promesse de pouvoir créer un spectacle.– Philippe Soldevila
Mettre en place des moyens pour soutenir la relève
Le soutien à la relève se manifeste de plusieurs manières, aujourd’hui, au sein de l’organisation, par exemple, lorsqu’on propose du mentorat à certains projets. Cela dépasse-t-il donc plus largement le cadre d’une aide organisationnelle, en touchant aussi au développement du potentiel des créateurs?
PS – Ce dont la relève a besoin, c’est d’une structure et non pas d’artistes. Ils sont extrêmement créatifs et autonomes dans leur démarche artistique. À notre époque, on pouvait faire un mauvais spectacle, alors qu’en allant à Premier Acte, aujourd’hui, je suis soufflé par la qualité des spectacles auxquels j’assiste. Est-ce parce que la barre, le niveau de talent, est rendu tellement haut, qu’on ne se s’autorise plus à se casser la figure, ou simplement, que nous étions moins bons, je dis cela avec humour, mais ne considère pas que nous ayons de leçon à leur donner. Ils sortent de l’école et créer des spectacles qui les positionnent immédiatement comme des professionnels.
AZ – Je pense que l’accueil de Premier Acte est particulier. C’est peut-être plus ça, le mentorat, quand on sent de tous les membres de l’équipe du théâtre est derrière l’artiste, que la réussite leur tient à cœur, quitte en effet, à proposer à certaines équipes un soutien plus direct, un accompagnement, dans leur parcours, comme par l’ajout d’une assistance à la mise en scène, mais toujours pour que le projet se concrétise dans des conditions gagnantes, mais jamais, au grand jamais, pour faire de l’ingérence artistique.
PS – Quand les gens rêvent de faire du théâtre, il y a désormais un chemin qui est tracé, qui rend le tout possible. Ils peuvent sortir de l’école, de l’université et se dire que, si leur projet est accepté à Premier Acte, ils ont la promesse de pouvoir créer un spectacle. Pour nous, cette réalité n’existait pas. Pour faire un spectacle, on devait trouver une place, se battre.
Je me souviens d’une de mes premières rencontres à la table de concertation en théâtre où j’étais, justement, belliqueux, avec cette envie revendicatrice de défendre la place de la relève. Il y avait une division plus claire entre le milieu et la relève qui cherchait à se faire une place dans ce dernier. Je crois que Premier Acte a permis d’éliminer cette idée-là, celle de se battre, entre nous, pour se faire une place au soleil. Aujourd’hui, il y a une grande solidarité à Québec et, même après avoir beaucoup voyagé, il y a peu de comparatifs dans le monde. L’abonnement croisé est, pour moi, la preuve ultime de notre cohésion comme milieu.
MG – C’est un drôle de concept, tout de même, celui de la compétition, afin de se tailler une place. Ici, nous avons la chance d’avoir compris que si un spectateur va dans une salle, il y a de fortes chances qu’il se rende dans le théâtre d’en face. Que s’il voit un bon spectacle, maintenant, il voudra aller voir l’autre bonne production, après.
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«J’ai l’impression, qu’en 25 ans, il y a eu une plus grande écoute, de la part du gouvernement, des processus de création, de la réalité du milieu, et ce, jusqu’à en arriver au constat où ce n’est plus possible de financer que des compagnies. C’est ainsi que des programmes, offerts pour les artistes, en sont venus à exister.» – Martin Genest
Regard sur le chemin parcouru par le milieu théâtral
Cette cohésion nous permet, ensemble, de positionner Québec comme une ville de théâtre. Ça en dit long sur le chemin parcouru par le milieu théâtral, en 25 ans. Qu’est-ce qui a le plus évolué, selon vous, dans le milieu ?
MG – Une bonne question, ça. Je lance cela comme ça, sans dire que nous sommes à la source, mais il y a eu, autrefois, un grand courant de création de compagnies. Puis, en évoluant dans notre pratique de création, on s’est rendu compte que nous avions besoin d’espaces, de laboratoire pour effectuer de la recherche. Le gouvernement a emboîté le pas, en accordant du financement pour ce type de projet.
J’ai l’impression, qu’en 25 ans, il y a eu une plus grande écoute, de la part du gouvernement, des processus de création, de la réalité du milieu, et ce, jusqu’à en arriver au constat où ce n’est plus possible de financer que des compagnies. C’est ainsi que des programmes, offerts pour les artistes, en sont venus à exister.
Je suis d’accord aussi avec ce que mentionnait Philippe sur l’audace, aujourd’hui. L’effervescence qui existait il y a 25 ans, est démultipliée, exponentielle. Non pas que nous en manquions avant, mais les spectacles vont beaucoup plus loin : déjà, au sortir de l’école, les créateurs ont cette audace, cette volonté de sortir du théâtre à l’italienne. Alors aujourd’hui, pour nous, quand vient le temps, en ayant en tête tout ce qui a été réalisé, ici comme à l’international, c’est… fou : l’effervescence est démultipliée, exponentielle en 2020.
PS – Oui, je suis d’accord. Force est de constater qu’en vingt-cinq ans, cette manière de travailler par étape, avec des laboratoires, est devenue une méthode de travail, une norme dans le processus de création, alors que c’était une innovation, à l’époque.
Puis, quand nous avons débuté, il n’y avait pratiquement pas de tournées qui se faisaient. Un spectacle, c’était alors une quinzaine de représentations, une vingtaine avec de la chance, et puis c’était fini. Très tôt, notre génération s’est battue pour cela, pour éviter de travailler comme des fous pour seulement, quinze représentations. Nous avons réussi à tel point, qu’aujourd’hui, pour envisager la tournée, nous devons faire face à une compétition féroce.
J’ai l’impression que la qualité du théâtre à Québec et au Québec est grandissante. Aujourd’hui, un bon spectacle, ce n’est plus suffisant pour survivre. Il doit être WOW ou tu ne rencontres pas ton public. C’est une énorme pression qui nous demande d’accepter la non-unanimité. C’est difficile de s’y confronter, après avoir connu des salles qui se lèvent, pour applaudir, à la tombée du rideau.
AZ – Pour ma part, j’ai plus de difficulté à parler d’évolution. C’est étrange. Je ne suis pas capable de nommer l’évolution du théâtre. Par contre, une différence, que je peux souligner, c’est le renforcement des liens entre le milieu des arts et celui des affaires. Ce que je trouve très positif. Il y a des mouvances, dans nos manières de présenter un spectacle. Les productions limitent aussi, le nombre d’acteurs : on voit de moins en moins de spectacles avec quinze acteurs. Il y a beaucoup de théâtres qui coproduisent pour créer et diffuser. Autrement, la technologie a pris beaucoup de place sur nos scènes, mais je suis certaine que l’humain va revenir.
PS – Cette année, nous avons produit à nouveau Le miel est plus doux que le sang, que nous avions présenté lors de la première saison de Premier Acte. Nous sommes réellement revenus vingt-cinq ans en arrière. Volontairement, je n’ai rien changé au spectacle, bien que ce ne soit pas la même équipe ni les mêmes comédiens.
Mais, là, j’ai pu m’apercevoir de l’écart : comme compagnie, nous avons dû accepter d’être déficitaires, après vingt-cinq d’existence, avec cette même production. C’est absurde ! Notre pouvoir de création a donc diminué, avec les années.
À cette époque-là, les diffuseurs nous obligeaient pratiquement à mettre un entracte, afin qu’il puisse, lui, vendre des consommations. Avec Le miel est plus doux que le sang, nous proposions un spectacle de près de 3 heures. C’est un format qui n’existe plus, alors qu’aujourd’hui, les spectacles de 1h30 sont un standard. D’ailleurs, avant, nous n’allions pas au théâtre, nous allions passer une soirée au théâtre.
AZ – C’est vrai que tout va beaucoup plus vite. La question du temps est devenue un réel enjeu : on commence plus tard pour laisser le temps aux spectateurs de souper, avant. Il ne faut pas que ça soit trop long, car les gens travaillent le lendemain. L’urgence qui vient avec la notion du temps a réellement modifié nos pratiques de diffusion.
MG – Les conditions de création, aussi, ont changé. Nous avons répété nos premières productions dans un sous-sol d’église, au travers des objets que le curé n’utilisait plus. Je pense aussi à cette autre salle, où nous répétions au son des toilettes, avec un tuyau qui s’est brisé en pleine représentation. Et puis, en jouant dans une salle qui était aussi une auberge, la proximité avec le public était importante.
Ce n’était pas dans les habitudes des spectateurs non plus, à tel point, qu’une fois, un spectateur s’est levé et s’est servi une bière dans le décor, ou traversait simplement la scène. J’ai une foule d’anecdotes comme celle-là, mais ça prouve qu’il fallait créer en assumant qu’une fois rendus en salle, cela fonctionne ou exige constamment de s’adapter. Les jeunes artistes ont des conditions pour créer, minimalement, avec des locaux de répétitions.
C’est fascinant de vous entendre, à titre de fondateurs, mais aussi de créateurs. Je vous souhaite à vous, comme à Premier Acte, un autre vingt-cinq ans à animer le milieu théâtral de la ville de Québec. Merci à vous trois.
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Philippe Soldevila est auteur et metteur en scène. Il assume la direction artistique du Théâtre Sortie de Secours, depuis sa fondation en 1989. Sa démarche artistique est guidée par une fascination envers les questions identitaires et la rencontre des cultures.
Martin Genest est un metteur en scène œuvrant depuis une vingtaine d’années au Québec et à l’international, il se distingue par sa vision singulière de l’utilisation de l’espace scénique et du rapport avec le spectateur. En théâtre, il s’est fait connaître par ses adaptations et mises en scène sensibles et novatrices.
Agnès Zacharie est reconnue pour ses talents de comédienne et reçoit en 1989 le Prix Nicky-Roy, lors de la cérémonie des Prix d’excellence des arts et de la culture de Québec. Metteure en scène et cofondatrice de Premier Acte, elle se laisse séduire par l’art de la marionnette, lors de ses nombreuses collaborations avec le Théâtre de Sable et le Théâtre Pupulus Mordicus. En 2004, Agnès Zacharie fonde Ubus Théâtre, compagnie dont elle assure, depuis, la direction artistique et pour qui elle signe tous les textes.