25 ans de Premier acte : Anne-Marie Olivier
Auteure, dramaturge, comédienne, metteure en scène et codirectrice générale et directrice artistique du Théâtre du Trident, Anne-Marie Olivier compte plusieurs cordes à son arc. Sa première pièce, Gros et détail, a été présentée à Premier Acte, en 2003. Depuis ce moment, le succès est au rendez-vous.
...Auteure, dramaturge, comédienne, metteure en scène et codirectrice générale et directrice artistique du Théâtre du Trident, Anne-Marie Olivier compte plusieurs cordes à son arc. Sa première pièce, Gros et détail, a été présentée à Premier Acte, en 2003. Depuis ce moment, le succès est au rendez-vous. Aujourd’hui, nous lui proposons un retour en arrière, sur ce tremplin qui a véritablement lancé sa carrière.
Q – Quel impact, ton passage à Premier Acte, a-t-il eu sur ta carrière?
R – Un impact énorme ! Avant Gros et détail, je jouais, surtout. C’est en sortant de l’école de théâtre que Bernard Grondin m’a mise au défi d’écrire un conte urbain. Sans le savoir, en me mettant au défi, il a trouvé le meilleur moyen pour me motiver.
Ces contes-là, ce sont des contes de la ville de Québec, créés à partir d’observatoire, effectué dans la rue. J’aimais ça, car le théâtre me permettait de rendre compte d’une réalité actuelle, que nous partagions, où des choses, habituellement laides, deviennent magnifiques. J’ai donc commencé à écrire des contes urbains, présenté alors à l’ancien théâtre de La Bordée.
Puis, pour mes trente ans, je me suis lancé, à moi-même, le défi de créer un spectacle autour de ces contes-là. Tout le monde me décourageait, j’avais peu de moyens pour produire le spectacle, quelque chose comme 4 000 $. Puis, voilà. Avec l’aide d’ami.e.s, nous avons créé Gros et détail.
Cela fut, pour moi, une explosion : une nouvelle démarche artistique se dessinait pour moi, en tant que créatrice, alors que je réalisais que je pouvais écrire et jouer mes propres textes. Je me souviens à quel point cela me semblait précieux de pouvoir parler aux gens, à chaque soir, à Premier Acte.
Cela marque, en quelque sorte, le début de ma carrière d’autrice. L’année suivante, nous avons repris le spectacle à La Bordée… et voilà.
Q – Donc, pour toi, le conte est devenu un moyen d’explorer ou de questionner la forme théâtrale ?
R – Le théâtre, le cinéma, la littérature, même l’humour, ou encore la peinture, à certains degrés, au fond, ça sert à raconter une histoire. Le théâtre peut devenir une forme hybride, comme pour Pol Pelletier, Philippe Baron et Robert Lepage, de grands conteurs, l’ont démontré. Le conte urbain, comme tel, qui a été inventé en quelque sorte, par Yvan Bienvenue, permet la poésie, la musicalité de la langue et se révèle une forme très libre. C’est donc important d’avoir des lieux, comme Premier Acte, qui nous permettent de prendre des risques, dans des milieux qui ont confiance en des projets qui nous poussent au cœur.
Q –Premier Acte, de par son rôle, favorise les collaborations. En quoi cela t’a-t-il aidé, dans le cadre de Gros et détail ?
Comme créateur, au départ, on n’existe pas en dehors de soi. Il faut donc trouver un endroit pour se prouver que oui, que la création représente le bon chemin à emprunter pour nous. Dans le cadre de Gros et détail, nous avons eu la chance de jouer à Premier Acte, puis à la Bordée. Mais j’ai surtout eu la chance de m’entourer de Érika Gagnon et Kevin McCoy à la mise en scène, du collectif d’artistes Groupe BGL pour la scénographie, de Karine Ledoyen aux mouvements, puis de Mathieu Doyon
et de Claudie Gagnon.
Q – Ton passage à Premier Acte t’a permis accéder à des salles, des publics plus importants, comme à la Bordée, par exemple. Selon toi, est-ce que Premier Acte joue un rôle dans l’animation de l’écosystème théâtrale de la ville ?
R – On ne peut rien retirer de cet écosystème, tellement il est fragile. Nous avons besoin de Premier Acte et de toutes les autres plateformes.
Ici, je songe surtout aux finissants des écoles de théâtre qui ont besoin de cet écrin pour débuter. Au sortir du conservatoire, le téléphone ne sonne pas toujours. Mais le Conservatoire d’art dramatique de Québec a ceci de particulier face aux autres écoles : il outille ses finissants avec des cours d’écriture, de création. Cette façon de faire a été fortement inspirée par la méthode Lecoq, à Paris, où les acteurs sont aussi des créateurs.
C’est une spécificité de Québec : Il faut prendre soin. Et cela se traduit, notamment, par l’accès à un lieu pour se produire, comme Premier Acte. Pour ma part, après Premier Acte, j’ai eu accès à La Bordée, puis nous sommes partis en tournée au Québec, et même à l’extérieur !
Q – Aujourd’hui, quand vient le temps de choisir une pièce pour une programmation au Trident, es-tu sensible au fait qu’un auteur ou un metteur en scène soit passé par Premier Acte, comme toi, auparavant ?
R – Il faut sortir, voir ce qui se fait ailleurs, demeurer attentif. Par exemple, je songe à Doggy dans gravel de Olivier Arteau, en 2016, à Premier Acte. Pour moi, ce metteur en scène-là était déjà prêt pour venir travailler au Trident, par exemple, car il apporte déjà quelque chose au répertoire, de par son audace. Donc oui, c’est important d’aller voir ce qui se fait à Premier Acte, ne serait-ce que pour prendre le pouls de son époque. On y présente surtout du théâtre de création et il importe d’entendre de nouvelles voix.
Q – Avec le recul, serais-tu capable d’imagine ta vie sans un passage à Premier Acte ? Qu’est-ce qui aurait été différent dans ton parcours ?
R – Avant de jouer Gros et détail, j’ai d’abord occupé la direction artistique de Premier acte, pendant une demi-année, par un coup du destin, avant de passer le relais à Marc Gourdeau. Cela m’a permis de travailler sur une brochure du programme de la saison, de travailler avec un comité à la sélection des spectacles, d’accompagner des artistes. Nous avions peu de moyens, mais c’est ce qui m’a ouvert des portes sur le travail de direction artistique, poste que j’occupe ailleurs, aujourd’hui.
Q – On célèbre beaucoup la vitalité du milieu théâtral à Québec. Cependant, existent de nombreux enjeux qu’on ne doit pas oublier. Quels sont-ils, selon toi ?
R – Les conditions de vies des artistes qu’il faut améliorer. Et pas uniquement pour la relève. Il y a des artistes qui, à l’âge de 30, 40, 50 ans, vivent dans des situations où la précarité se révèle importante. C’est quelque chose qui me tient à cœur. Il faut briser l’idée que les artistes ne servent à rien, qu’ils sont des profiteurs. Au contraire, ce sont des gens généreux, qui se brûlent parfois.
Q – Il n’y a rien de comparable à l’émotion qu’on ressent, dans une salle de spectacle, n’est-ce pas?
Tous les arts vivants permettent de traduire cette émotion.
Ça me touche beaucoup quand les gens disent qu’ils n’aiment pas le théâtre. Mais c’est sans doute parce qu’ils n’ont pas trouvé quelque chose qui leur plaît. On doit trouver son genre, comme on le fait pour ses vêtements, par exemple.
Je suis chanceuse de pouvoir vivre de ma passion. Encore aujourd’hui, je m’émeus devant de nouvelles découvertes, devant le dialogue que cela créera avec le monde. Quand un artiste, avec sa flèche, réussit à viser le cœur, la tête, des gens, en touchant à leurs préoccupations, le sens même de la vie est questionné au théâtre. Cela me transforme, à tout coup. C’est nos nouvelles messes modernes.
Q – En terminant, il y a, depuis 10 ans, Les Contes à passer le temps, à Premier Acte. Vous étiez dans les autrices de la dernière édition. Pourquoi y prendre part, encore aujourd’hui ?
R – Je demeure avant tout une artiste. Je ne peux pas exercer mon métier autant que je le voudrais, de par mon poste au Trident – que je suis très chanceuse d’occuper également. Il n’en reste pas moins que j’ai besoin de créer, que j’ai des choses à dire. Et puis, ça demeure une expérience incroyable de pouvoir écrire pour Lorrain Côté, une magnifique interprète. Écrire des contes, je ferais ça tous les jours de ma vie.
Écoutez l’entrevue avec Anne-Marie Olivier en balado!