Vincent Lambert: Finaliste au prix Artiste de l’année – Chaudière-Appalaches
Le prix Artiste de l’année est remis annuellement par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) dans le cadre des Prix d'excellence en arts et culture. En cette 38e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes par une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.
...Vincent Lambert est un poète et essayiste dont les œuvres cherchent à exprimer l’unité du monde, du vivant et de l’esprit à travers une démarche philosophique d’une grande profondeur. Actif dans le milieu littéraire à titre de critique et de chroniqueur, il s’implique également dans sa région pour partager sa passion de la poésie. Il est finaliste pour le prix Artiste de l’année en Chaudière-Appalaches du CALQ.
Votre travail prend ses assises dans l’exploration, de façon littéraire, philosophique et existentielle, de la nature profonde de la réalité. Vous soutenez dans vos ouvrages qu’un « renouvellement total de notre vision des êtres et du monde est possible et nécessaire ». Comment le tout s’incarne-t-il dans Mirabilia et dans Introduction à la vie sans fin?
Ce renouvellement total de notre vision des êtres et du monde est possible et j’aime croire qu’il se produit au moins une fois au cours d'une vie, par exemple lorsque nous faisons connaissance avec la mort, ou quand nous vivons une expérience assez déroutante pour nous forcer à remettre en question tout ce qu'on nous a appris sur cette affaire étrange que nous sommes tous et toutes en train d’expérimenter et qui s'appelle être en vie, jusqu'à admettre, peut-être, que nous ne savons pas qui nous sommes, où nous sommes, ce que nous devons faire ou ce que nous pouvons être. Rien de ce qu'on a appris ne nous a permis de répondre à ces questions originelles et nous savons qu’il n’y a pas de réponse définitive, que chacune de nos réponses est appelée à retourner au silence, sans jamais parvenir au fin mot de l'histoire, mais j'ai pu constater par moi-même à quel point on peut être détrompé, à quel point nos yeux, qu'on croyait ouverts, peuvent s'ouvrir de nouveau et voir tout ça pour la première fois. Ma poésie, je la veux ancrée le plus possible dans cette inconnaissance, dans ce silence où le monde est appelé à réapparaître et à être aimé.
Au Québec, et particulièrement dans la région de Chaudière-Appalaches, que peut la prise de parole d’un écrivain et où, pour votre part, souhaitez-vous la mener?
Je pense que les écrivains font un précieux bruit de fond, que si ce bruit devait s'arrêter on s'en apercevrait aussitôt. On verrait rapidement que notre conscience du monde manque de racines et qu'on ne pourrait plus désormais se parler à travers le temps et dans l'espace avec toute la lenteur et la patience que demandent les livres. Là où j'habite, depuis vingt ans, c'est la campagne assez pauvre, il y a peu d'emplois, peu de jeunes familles et peu de livres, mais quelque chose est en train de se passer, lentement, des phénomènes impensables comme une microbrasserie, des sentiers visités par des milliers de gens et des lectures de poèmes deviennent des réalités. Alors, les gens voient ce que toutes ces choses peuvent leur apporter (de la bière, des feuilles d’automne et des images). La vérité est qu’ils aiment la poésie sans s’en rendre compte. Il faut leur montrer.
Vous êtes professeur au cégep et à l’université, vous animez des ateliers d’écriture, vous êtes chroniqueur à L’Inconvénient et critique littéraire à la revue Liberté. Vous assumez ainsi en quelque sorte un rôle de passation de la culture littéraire auprès des jeunes et du lectorat. Qu’est-ce que ce rôle ajoute comme défi – ou, au contraire, comme facilité – à votre démarche personnelle d’écrivain?
Si j'écris, c'est pour faire voir à d'autres ce que je vois, ce que j'aime, ce qui me hante. Je n'écrirais sûrement pas si j'étais seul au monde. Et pour la même raison, je sens le besoin de partager avec d'autres mes lectures et ce qu’elles m’ont permis de découvrir et de toucher. Je travaille aussi sur des anthologies, dans un même but. J’essaie de voir la littérature comme une fourmilière, comme œuvre collective que chacun développe dans le sens qui est le sien, avec son propre langage. Dans cette perspective unifiante, la diversité des pratiques devient magnifique et prodigieuse. Il y a dans les livres, dans la poésie et les histoires, des expériences, des formules qui ne doivent pas rester entre les pages, mais essaimer comme des graines dans l’esprit de notre temps.
Vous écrivez pour la jeunesse, notamment l’ouvrage poétique Une chose étrange et gentille (et invisible) publié à La courte échelle. Ce livre met en scène un garçon en quête identitaire, portant une impression de décalage, qui découvre que la poésie lui permet d’avancer dans ses questionnements, d’apprécier ce qui rend son regard sur le monde différent. Est-il pour vous aisé de donner la parole à un narrateur enfant, de vous plonger dans ses questionnements?
Je porte cette parole et ce regard d’enfant, de l’enfant que j’ai été et qui continue d’exister en moi, comme les premiers cercles de la vie au cœur de l’arbre. Les petites histoires que je raconte dans ce livre, je les porte aussi depuis des années. Avec le temps, j'ai pu constater qu'elles me revenaient pour une bonne raison : c'est qu'elles me permettaient de retracer un chemin qui m’a permis d'accepter le monde, de le voir comme une chose étrange et belle et d’y participer, alors que tout mon être s’y refusait. C’est au fond la naissance de mon regard que je raconte, mon passage du Non au Oui, de la fermeture à l’ouverture. J’ai pu constater que bien des adultes s’y retrouvaient aussi. C’est sans doute mon livre qui a rencontré le plus de gens.
Vous travaillez également actuellement à Mains d'œuvre, un film d’entretiens avec des figures majeures de la poésie québécoise contemporaine. Parlez-nous de ce projet, de ce que vous y avez appris et de ce que les gens qui l’écouteront y découvriront.
C'est un documentaire sur lequel je travaille avec Michel Chauvin et Jean-Philippe Dupuis. Depuis quelques années, nous avons réalisé onze entretiens avec des figures marquantes de la poésie québécoise, des gens qui ont passé leur vie à écrire et qui nous parlent de leur relation à la poésie d'une façon très intime et souvent déroutante. On est frappé par cet engagement vital, par tant de minutie et d’attention. En les écoutant, j'en suis sorti avec encore plus de questions, toujours aux prises avec ce mystère qui fait en sorte qu’on revient toujours à l'écriture et qu'on peut lui consacrer une vie entière. Les vraies raisons qui poussent un être dans cette direction demeurent cachées, inconscientes, mais elles sont là, elles rayonnent à travers leurs yeux, leurs voix.