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Maude Petel-Légaré : celle qui donne voix

Le prix Relève professionnelle est remis chaque année par Culture Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches (CCNCA) dans le cadre des Prix d'excellence en arts et culture. En cette 39e édition, notre équipe vous invite à découvrir les finalistes par une série d’entrevues portant sur leur démarche et leur vision.

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Publié le : 7 novembre 2025

Maude Petel-Légaré est réalisatrice, scénariste et formatrice de documentaires sonores. Ses oeuvres portent principalement sur les questions identitaires, féministes et de violences basées sur le genre. Il y a, chez cette artiste qui possède également une maîtrise en journalisme international, un vibrant sentiment d’appartenance à Québec, qui teinte chacun de ses projets. Si elle a déjà gagné le respect de ses pairs ainsi qu’une attention médiatique notoire, c’est grâce à l’originalité et au caractère novateur de sa démarche documentaire. Par ses nombreuses œuvres, Maude réussit à traiter des sujets les plus délicats autant que des plus ludiques avec beaucoup d’humanité et une volonté évidente de rassembler. 

 

Vous décrivez ainsi votre art : « Le documentaire sonore se distingue du balado par son caractère immersif et artistique. Il est du cinéma pour les oreilles et permet d’aller chercher tous les sens chez l’auditoire. Le son crée l’image et engage l’imaginaire ». Comment êtes-vous entré en contact, pour la toute première fois, avec le documentaire sonore et pourquoi avoir choisi d’en faire votre carrière ? 

La première fois que j’ai découvert le documentaire sonore, c'est en participant en 2018 au concours Le réel à l’écoute organisé conjointement par la radio étudiante de l’UQAM CHOQ.ca et les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM). Ce concours demandait de créer une œuvre sonore documentaire de 10 minutes. Étudiant en journalisme, me spécialisant en radio, j’ai tenté de sortir des reportages classiques pour aller vers une démarche plus créative. Je venais de recevoir la bourse universitaire Corus Pierre-Bourgault pour la création d’un reportage radiophonique et j’ai décidé de l’investir pour suivre une formation de scénarisation documentaire donnée par la boîte de production Magnéto. Ce fut un éveil artistique.

J’ai commencé à explorer l’aspect créatif du son et à me lancer dans le documentaire sonore. Raconter une histoire par le son, et ce, sans narration, était un univers complètement nouveau. Le concours a par la suite organisé des soirées d’écoutes publiques dans des cinémas qui m’ont introduite à la communauté d’artistes sonores au Québec. Nous étions une trentaine à nous rassembler pour écouter des œuvres sonores; de la fiction au documentaire.

Tout au long de mes études universitaires, j’ai continué à évoluer dans le monde sonore en me spécialisant dans les balados, un format émergent au Québec qui devenait de plus en plus populaire. En 2020, j’ai réalisé un stage avec la boîte de production française Louie Media, un chef de file du podcast en France. Je suis devenue réalisatrice de balados, un format qui s’approche davantage du journalisme. Ce n’est qu’en 2023 que j’ai reçu ma première bourse de Première ovation pour réaliser mon premier documentaire sonore indépendant — avec un volet davantage créatif — qui s’intitule Les enfants nés du viol.


Réalisatrice et documentariste sonore, vous vous intéressez particulièrement aux questions identitaires, féministes et de violences basées sur le genre (viol, féminicide, sentiment de sécurité, etc.). En quoi vous importe-t-il de donner une place aux voix marginalisées ou peu représentées dans les médias traditionnels ?

Mon inspiration part d’un enjeu réel, souvent tabou et peu documenté. Le documentaire sonore me permet de briser ce silence et de rencontrer des personnes qui n’oseraient pas prendre la parole si elles étaient filmées. Souvent, elles ne se sont jamais racontées et se révèlent grâce à cette bulle d’intimité.

« Écouter » est une action volontaire et active qui se distingue du verbe « entendre », qui lui est involontaire et passif. La voix des personnes marginalisées ou peu représentées dans les médias traditionnels est souvent entendue, mais est rarement écoutée. En tant que documentariste, aller à la rencontre de ces personnes et les écouter est au cœur de ma démarche féministe et artistique. En les rencontrant chez elles — ou dans un espace rassurant qu’elles choisissent — et en prenant le temps de le faire, elles se livrent en toute intimité. Nous bâtissons un réel lien de confiance qui me guide dans la scénarisation de mes projets.

L’action d’écouter est un acte politique en soi, car peu prennent le temps de le faire. Beaucoup entendent ces voix marginalisées sans les comprendre. Les auditeur.trice.s font eux aussi un geste politique en choisissant de prêter toute leur attention et en faisant preuve d’empathie en écoutant le témoignage des protagonistes.

C’est en rencontrant ces personnes, en leur laissant l’espace pour témoigner et en créant de liens de sincères avec elles que je pense qu’on pourra susciter des réflexions essentielles dans notre société pour la transformer. 

Que permet le documentaire sonore — tel que vous le pratiquez — que ne permet pas le documentaire filmé ? Quelle est la force de ce type d’approche ? 

Le documentaire sonore est un art qui favorise l’intimité avec les protagonistes et qui permet d’aborder des sujets tabous qu’iels n’oseraient pas approfondir s’il y avait une caméra. En étant seule avec les protagonistes, dans un lieu où iels se sentent en sécurité, iels arrivent à oublier la présence du micro et à ne penser qu’au moment présent. Nous entrons dans une bulle et la parole se libère. Grâce au documentaire sonore, j’ai accès à des personnes qui n’auraient jamais pensé qu’un jour elles allaient raconter leur histoire et faire partie d’un projet artistique et social.

Quand iels racontent leur récit au micro, iels me le racontent. Et ça se ressent à l’écoute. Je tisse des liens profonds avec iels. Ensemble nous revivons chaque instant de leur vécu. Ce lien fort est essentiel dans ma démarche artistique. Dans ma scénarisation, c’est ce « ressenti » qui guide mon récit. C’est cet instinct, ces moments forts liés à la parole et au silence qui guident ma pratique artistique.

La prise de son est singulière. Elle permet à l’auditeur.trice de se mettre à ma place et de ressentir toutes les émotions des protagonistes, même s’iels ne les nomment pas. Tout passe par la voix. Et beaucoup d’images en découlent. Des images fortes. Le documentaire sonore est du cinéma pour les oreilles, car il permet d’aller chercher tous les sens chez l’auditeur.trice tout en créant des scènes marquantes.

Ayant étudié en journalisme, j’ai pris beaucoup de temps à déconstruire ma méthode de travail journalistique pour aller vers une démarche documentaire et artistique. Contrairement au récit journalistique qui met de l’avant les faits, dans mes documentaires sonores, les protagonistes sont au centre du récit et racontent leur vision des choses. Il n’y a pas de mise en contexte. C’est l’aspect « brut » qui m’interpelle. C’est grâce à un attachement fort aux protagonistes que l’on peut sensibiliser les auditeur.trices à des enjeux actuels.

 

En juillet dernier, vous êtes partie seule, pendant 43 jours, pour suivre les 650 kilomètres du Sentier international des Appalaches en Gaspésie et avez enregistré votre parcours afin d’en faire un documentaire sonore à portée féministe. Votre objectif : déconstruire le sentiment d’insécurité des femmes, en référence à la question qui roule sur les réseaux sociaux « Qui préféreriez-vous croiser seule en forêt ? L’ours, ou l’homme ? ». Que vous a appris cette expérience et en quoi résultera-t-elle, artistiquement parlant, finalement ? 

Je choisis l’ours est un documentaire sonore en cours de création. Il devrait paraître en 2026-2027. J’ai plus d’une cinquantaine d’heures d’enregistrement — que ce soit des journaux de bord, de magnifiques paysages sonores gaspésiens, des ambiances sonores des rivières à saumon, des enregistrements ludiques de moi qui est complètement essoufflée en train de gravir les Chic-Chocs, mes rencontres inusitées avec des orignaux ainsi que de multiples entrevues avec les randonneur.se.s que j’ai croisé.e.s sur le sentier. Ce projet vise à déconstruire le sentiment d’insécurité des femmes, celui qui survient quand on marche seule le soir ou dans la forêt. Au cours de ces 43 jours, j’ai apprivoisé cette peur et je ne me suis jamais sentie aussi forte, puissante et libre.

Selon l’INSPQ, plus de 80 % des agressions sexuelles commises sur des adultes sont perpétrées par des personnes connues de la victime. Les femmes sont plus souvent agressées dans les espaces privés par des proches, lieu même où selon la société, elles devraient être en sécurité. Alors, pourquoi est-ce qu’on continue à dire aux femmes que les espaces de mobilités (stationnement, rue, forêt) sont dangereux? D’où vient cette peur?

À travers un récit d’expédition, Je choisis l’ours dénonce les violences basées sur le genre dans une approche singulière : celle d’un récit personnel de reprise de pouvoir. Ce projet, bien qu’il parte d’une quête personnelle, revêt une dimension collective. Il éveille les consciences sur des problématiques sociales, dans une forme libératrice et réflexive. Il s’agira d’une immersion sonore sur un des plus beaux sentiers de randonnée au Québec et vous fera voyager en Gaspésie — autant dans sa ruralité, dans ses forêts, que dans ses montagnes et au bord de la mer.

Cette série sonore permettra aux auditeur.trice.s de prendre conscience de ce conditionnement social imposé, de cette peur qui semble trop souvent prendre le contrôle et montrer qu’il est possible de la contrôler.

 

Vous n’êtes pas originaire de la ville de Québec, mais vous avez fait le choix de vous y établir et de vous y épanouir en tant qu’artiste. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ? 

Originaire de Montréal, je suis tombée en amour avec la ville de Québec lors de ma maîtrise en journalisme international à l’Université Laval. Ce sont mes colocs, deux comédiens qui venaient de terminer le Conservatoire d’art dramatique, qui m’ont fait découvrir la foisonnante communauté culturelle et artistique de Québec, qui par ses riches créations, sa solidarité et son aspect communautaire m’a donné envie d’en faire partie. 

Après mon séjour à l’international écourté par la pandémie, je suis rentrée à Montréal, mais avec la forte envie de retourner vivre à Québec. Depuis trois ans, je suis revenue m’établir dans cette ville et je compte y rester. J’ai trouvé à Québec une communauté d’artistes et de travailleurs culturels dans laquelle je me suis intégrée merveilleusement bien et avec laquelle j’ai développé des relations tant professionnelles qu’amicales. 

Depuis deux ans, j’occupe un bureau à la Charpente des fauves, un lieu unique qui réunit des artistes portés par la même volonté : créer à Québec et faire rayonner notre communauté artistique. Tous les jours, je me rends à la Charpente des fauves et je côtoie des artistes de tous les horizons ; du cinéma, de l’art sonore, de la performance, de l’illustration, de la gravure et j’en passe. Tous les jours, je tisse des liens avec des artistes qui partagent la même fierté ; celle de faire partie d’une communauté artistique tissée serrée, dynamique et en plein essor.

À Québec, la vie peut être douce tout comme frétillante. J’aime ses vieilles maisons, la vue sur les Laurentides, ses Plaines, ses cafés et ses activités culturelles variées. À Québec, je n’ai jamais ressenti de compétitivité, mais plutôt une solidarité exceptionnelle et bienveillante de la part du milieu culturel. On est bien ici !



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Dernier documentaire sonore Les enfants nés du viol
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