Amener la musique de concert vers la diffusion numérique : l’expérience des Violons du Roy
Entretien avec Laurent Patenaude, codirecteur général et responsable de l’administration artistique des Violons du Roy.
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Entretien avec Laurent Patenaude, codirecteur général et responsable de l’administration artistique des Violons du Roy
Affirmer que l’année 2020 aura bouleversé les scènes d’ici et leurs protagonistes ne fera pas débat. Les impacts sur les arts de la scène sont multiples. Ils sont ressentis par ceux qui les animent (la création, la diffusion et la production), de même que par ceux qui en raffolent (les spectateurs). Pour rejoindre leur public malgré tout, certains organismes culturels et artistes se sont tournés vers le numérique. Il s’agit d’une solution intéressante; qui présente à la fois de belles possibilités et aussi de grands défis.
Curieux de nature, notre équipe a fait une incursion dans l’univers de la musique de concert pour discuter de ce virage numérique avec Laurent Patenaude, codirecteur général des Violons du Roy. Que signifie le numérique pour l’organisation et ses musiciens? Comment l’intégrer et pourquoi? Et plus encore.
Les impacts de la pandémie sur la programmation
Pour mettre en contexte le cheminement numérique des Violons du Roy, il serait intéressant de survoler leur parcours des 35 dernières années. Pouvez-vous nous les présenter en quelques mots?
Laurent Patenaude : L’ensemble Les Violons du Roy existe depuis 1984 à Quebec. Il s’agit d’un orchestre de chambre qui est né d’une passion pour la musique baroque. Cette passion était celle de Bernard Labadie, encore aux études à l’époque, et de quelques collègues. Ensemble, ils ont décidé de fonder un orchestre de chambre qui avait une majeure en musique baroque, auquel s’est ajouté un chœur; la Chapelle de Québec.
C’est un groupe qui s’est fait remarquer par ses interprétations d’abord ici à Québec, puis au Québec, au Canada; et depuis assez longtemps, les Violons du Roy sont reconnus à l’international. Ils ont réalisé jusqu’à maintenant 52 tournées internationales, dont la majorité aux États-Unis.
Depuis 2007, ils sont installés au Palais Montcalm – Maison de la musique, l’une des plus belles salles de concert en Amérique du Nord. Pour l’orchestre, c’est vraiment un outil de développement assez remarquable.
La saison 2019-2020 des Violons du Roy s’est arrêtée brusquement en mars dernier en raison de la pandémie de COVID-19. Or, la préparation d’une programmation nécessite beaucoup de planification. Pour comprendre ce que peut représenter le défi d’adapter une programmation au mode virtuel, pouvez-nous nous illustrer le fonctionnement d’une saison?
Laurent Patenaude : Le développement de la programmation se fait sur plusieurs calendriers simultanément considérant les concerts à l’étranger, au Québec et aussi les projets plus particuliers. L’orchestre offre plus de 80 représentations chaque année. Le temps de préparation varie; une grande tournée internationale se prépare au moins 2 ans à l’avance, parfois même 3 ans. Pour la saison régulière à Québec et à Montréal, il faut prévoir 18 mois pour planifier les concerts, alors que projets spéciaux se conçoivent en quelques mois.
Le recours au numérique nécessite des compétences différentes
Quand les scènes deviennent inaccessibles du jour au lendemain. Quelle est la suite?
Laurent Patenaude : C’est un choc et même un deuil. Les projets qui devaient animer notre printemps étaient emballants. D’abord, dans le meilleur des cas, on tente de reporter les concerts. Certains pourraient avoir lieu dans 2 ou 3 ans, sans savoir ce qui sera possible.
Le numérique devient une option pour offrir des concerts éventuellement. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, par contre en musique, je dirais que la captation et la diffusion étaient beaucoup associées aux grandes institutions; le Met à New York ou l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Ces institutions ont des moyens pour déployer de très belles productions numériques. Évidemment, cela peut être décourageant pour des plus petits joueurs.
«Comment se démarquer? Comment faire quelque chose qui intéressera les gens? Il faut garder à l’esprit qu’une fois qu’on a fait du contenu, il faut aussi en retirer des revenus, de la visibilité, etc. Ce sont des défis gigantesques qui valent la peine d’être faits évidemment…»
– Laurent Patenaude
Le fait d’avoir de très grands moyens offre de vastes possibilités. Comment les plus petites organisations peuvent arriver à tirer profit du numérique ?
Laurent Patenaude : Actuellement, la réalité de nous donne pas le choix. Il faut s’appuyer sur notre créativité pour proposer des projets à partir des moyens à notre disposition. Nous sommes très chanceux, car notre partenaire, le Palais Montcalm, possède un nouvel équipement de captation à la fine pointe de la technologie. Par ailleurs, cela nous amène à revoir nos façons de faire, la conception du concert, etc. Il faut réfléchir à un produit pour se distinguer. C’est un défi lorsque tout le monde se trouve dans une situation comparable et doit créer des contenus numériques.
Comment se démarquer? Comment faire quelque chose qui intéressera les gens? Il faut garder à l’esprit qu’une fois qu’on a fait du contenu, il faut aussi en retirer des revenus, de la visibilité, etc. Ce sont des défis gigantesques qui valent la peine d’être faits évidemment, mais qui demandent de nouveaux équipements de nouvelles expertises, de nouvelles stratégies de communication. C’est comme si on repensait l’entreprise au complet.
Quelles sont les habitudes associées aux contenus numériques en musique de concert? À l’Orchestre de Berlin par exemple. S’agit-il de concerts virtuels en direct, des captations à regarder comme si on visionnait une série ou un documentaire?
Laurent Patenaude : En ce qui a trait au concert en direct, ce que j’ai vu de mieux est en fait un faux direct, c’est-à-dire des projets qui sont préparés, enregistrés et qui sont diffusés à une date déterminée. Le concert est capté quelques jours avant pour permettre une optimisation de la réalisation.
Par ailleurs, la pandémie a changé considérablement certaines habitudes. Que ce soit l’enseignement, nos rencontres familiales ou d’équipe, le numérique permet l’interaction et la collaboration. Des gens ne connaissaient pas les plateformes comme Zoom et maintenant c’est devenu le quotidien. En quelques mois, la culture numérique planétaire a changé complètement. Ce qui semblait improbable au début devient tranquillement une nouvelle façon de vivre.
Saisir l’occasion d’expérimenter la diffusion numérique
«Le contexte numérique est favorable à la présentation de contenus d’une durée plus courte. Nous ferons une captation audio et vidéo. Nous allons réfléchir aux façons de rendre l’oeuvre disponible…»
– Laurent Patenaude
L’utilisation du numérique n’est pas une fin en soi. Pour la musique de concert, cela vous offre de nouvelles avenues. Comment les aborder ?
Laurent Patenaude : Il faut rester à l’affût de ce qui se fait. Il faut aussi prendre en considération les moyens financiers et l’expertise disponibles. Il y a des formules qui fonctionnent. Je pense qu’il faut essayer en gardant à l’esprit l’importance de se démarquer. Au fond que ce soit en numérique ou en salle, l’offre était et sera abondante. Il y a toute une écologie à reconstruire et aussi des défis à surmonter.
Par exemple, le maintien de la qualité est un enjeu actuellement. Les Violons du Roy c’est un orchestre. Les musiciens doivent jouer ensemble pour atteindre le niveau d’excellence qu’on leur reconnaît. Les règles en vigueur au cours des derniers six mois complexifient le travail des musiciens.
Le défi de la mise en marché est également une grande préoccupation. Le numérique crée un marché planétaire. Il est difficile de se démarquer.
Vous tentez une expérience numérique. Les Violons du Roy jouent un tout nouvel arrangement des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, conçu pour eux par Blair Thomson. Vous en faites la captation. Quelles sont les grandes lignes de ce projet?
Laurent Patenaude : Ce nouvel arrangement créé pour les Violons du Roy fait l’objet d’une captation. Ensuite, des contenus seront développés. Ce projet-là était déjà prévu avant la pandémie. Il faisait partie d’un programme complet; une première partie était ajoutée à cette oeuvre, car celle-ci dure environ 35 minutes.
Dans ce contexte, on a décidé de concentrer nos énergies à la préparation de l’oeuvre maîtresse dans un arrangement du compositeur canadien Blair Thomson. Il faut savoir qu’on pense à cette oeuvre depuis une douzaine d’années. Le répertoire d’orchestre à cordes n’est pas si grand.
L’orchestration de Maurice Ravel des Tableaux d’une exposition de Moussorgski est très connue, mais on a tendance à oublier que c’est une oeuvre créée d’abord pour piano. On a pensé que cela pouvait être fort intéressant de l’aborder par des arrangements pensés spécialement pour les Violons du Roy.
Le contexte numérique est favorable à la présentation de contenus d’une durée plus courte. Nous ferons une captation audio et vidéo. Nous allons réfléchir aux façons de rendre l’oeuvre disponible; par exemple la commercialiser ou la diffuser via notre site internet. La réalisation d’un petit documentaire sur la genèse du projet pourrait compléter l’oeuvre. En ce concentrant sur les Tableaux d’une exposition lors des répétitions, cela permet aux musiciens de travailler la maîtrise de l’oeuvre en profondeur, oeuvre qui est très exigeante.
Envisager le développement numérique à long terme
En terminant, si on se projetait vers un après pandémie. Quel place pourrait prendre le numérique dans les moyens dont disposeront les Violons du Roy?
Laurent Patenaude : Il y aura certainement une place. Cependant les défis ne seront pas nécessairement surmontés. L’utilisation du numérique soulève des questions, notamment financières. Il faut être conscient qu’une captation et un concert devant public nécessitent deux mises en scène différentes. Il s’agit de deux productions. Serons-nous capables de soutenir à moyen et à long terme tout ce qu’implique ce développement. Il faut réfléchir également à la valeur précieuse d’une oeuvre présentée en salle, à l’expérience vécue par les musiciens sur scène et au public qui reçoit simultanément toutes ses émotions.
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